Shhhhhh plic plic flouff !
Oui ma chérie, je mesure bien : ça faisait vingt ans que ça ne nous était pas arrivé, une aussi longue séparation. Onze mois, dis donc...
Flifffff
C''est une belle histoire au long cours, nous deux. La voile pendant toute ma jeunesse, avec le privilège d'une année vie de voyage sur l’eau. Puis toi et moi on s’est un peu perdues de vue les quinze années de mon mariage, tu te souviens ? C’était le cours de la vie qui faisait ça, mais tu me manquais, en fait. On s’est retrouvées au lendemain de mon divorce, il y a vingt ans. Une longue redécouverte mutuelle, avec des bateaux variés, avec des gens très différents, et mes premières navigations dans le lointain pacifique. Jusqu’à la rencontre avec Ariel, dans un petit port d’Irlande. Oui, après ça je suis devenue moins volage : un bateau, un équipage, de belles escapades vers l’ouest et vers le nord, qui ont abouti à ce grand et magnifique voyage vers le grand sud, nous deux, Skol, et toi.
Shliff shliiff ….
Merci d’avoir été si suave pour nos retrouvailles, tu es adorable quand tu te fais velours. C’était étrange et doux. Charnel. Avec toi les émotions sont toujours intensifiées, souvent magnifiées, comme les couleurs. Mais tu sais quoi ? Sur le ponton avant d’embarquer, en sentant les agitations du vent, le claquement des drisses ... je n’ai pas pu retenir un petit frisson d’inquiétude. Étonnant, non ? Peut-être un réflexe viscéral issu des années dans des régions lointaines et dangereuses, ou règne l'imprévu permanent. J’espérais que ma trouille diminuerait avec l’expérience colossale que j’accumulais, mais c’est pas tout à fait ce qui s’est passé, il y avait sans cesse de nouvelles situations scabreuses, de nouvelles décisions critiques à prendre, et un compagnon si prompt à juger... Reconnais-le, tu es parfois violente. Mais au moins, avec toi, on ne se dit jamais qu’il y a une intention mauvaise derrière la brutalité. Non. Tu es juste traversée par les énergies du cosmos qui te mettent en mouvement. Rien à voir avec nous. Seulement, à la longue, j’ai fatigué. Pour cette raison et d’autres, j’étais contente de renter, en aout dernier.
Plic plic ?
Skol ? Il est au sec, en sécurité. Il va très bien. Après avoir tant vogué ces quinze dernières années, il a bien droit à un peu de repos, non ? Je suis d’accord : il mérite de trouver un jour d’autres belles navigations à vivre. Tu sais quoi ? Mon rêve serait de le transmettre à des femmes. Tu en dis quoi ? Je sais bien que tu ne peux pas me promettre de les ménager, les meufs qui le reprendraient mais bon, ça te plairait ? Sinon, je ne suis pas sûre d’être prête à le vendre à n’importe qui. Je suis encore très attachée à ce bateau et j’ai envie qu’il soit bien traité.
Plic plic ?
Ariel ? Je ne sais pas, il te faudra le lui demander. Tu vois, c’est grâce à toi que nous nous sommes rencontrés, lui et moi, il y a quatorze ans, et tu as été pendant treize années au centre de nos aventures : le motif, le moyen, la récompense et... la source de maintes difficultés. Maintenant, cet homme que j’ai tant aimé fait comme si nous n’avions rien vécu de grandiose ensemble, tu comprends çà, toi ?
Plouc flouc shshshshshshsh….
Peut-être, peut-être, en effet. Peut-être qu’il est emporté par les énergies qui le traversent, lui aussi, et que ça n’a pas grand-chose à voir avec moi. J’essaie juste de ne pas sombrer dans l’histoire.
Flflflflflflfllllll….
Alors ? On va faire quoi nous deux maintenant ?
Ploc !
C’est une vraie question. Parce que je suis en train de devenir agricultrice.
…. Ffffff
Ben oui, tu nous as donné à voir tant de merveilles et ça n’a pas été sans effet sur moi, justement.
…. Pffff
Ces dernières semaines, à te côtoyer de nouveau, de port en plage et en ria, seule, avec ma famille ou avec les amis, j’ai retrouvé, petit à petit, le plaisir de tes couleurs et de tes aspects toujours changeants, la qualité de l’air iodé et salé qui met les sens en éveil, la sensualité d’un bain d’eau fraiche et salée, la joie profonde qu’on ressent quand le regard s’évade jusqu’au bout du bleu. J’ai redécouvert le doux frisson de savoir qu’un petit bateau est là, dont la charge et les plaisirs seront répartis sur plusieurs paires d’épaules, partagés avec un collectif. Et là j’ai un doute : je ne sais pas si ma joie future peut se passer de tout cela.
Shf shf …Shf shf …Shf shf …Shf shf …
Oui, tu m'as enseigné que le temps apaise les tempêtes et clarifie les horizons assombris et complexes. Je te promets une chose : si jamais je vais m’installer trop loin de toi, je te préviendrai pour qu’on puisse se dire au revoir correctement, et j’espère que je pourrai revenir de temps en temps. Naviguer ?… t'inquiète ! C’est comme faire du vélo, ça ne s’oublie pas! A très bientôt ma toute belle.
Remerciements à Martine, Yves et Cecile, Jojo et Kate, Françoise, Julie, pour les impulsions en faveur de ces retrouvailles.
Bonjour,
Je lis et relis très souvent vos dires, vos pensées,...
Vous m'envahissez...
La profondeur des réflexions exposées avec tant de pudeur, de retenue m'entraîne dans un monde qui m'est familier par les ressentis que vous suscitez...
Je pense que la communion est si belle
Merci
Rédigé par : Jean marie | 15 septembre 2023 à 15:22
@ Jean-Marie : si je "vous envahis", c'est bien involontairement et j'en suis navrée !
Blague à part, mon intention dans ce blog a été, pendant presque 15 ans, d'offrir de l'évocation poético-méditative, et je suis touchée et ravie que cela vous touche.
J'ai été heureuse d'écrire les aventures marines de Skol et de son équipage dans cette tonalité, malgré les contraintes d'écriture que m'imposaient cet objectif et la situation.
Je suis émue aussi que le blog ait encore une belle fréquentation, malgré le fait qu'il soit clôturé depuis longtemps. Mon autre blog a moins d'audience, c'est peut-être que le sujet de la transition fait moins rêver, c'est peut-être que le contenu est plus prosaïque et le ton plus mordant....
Rédigé par : isabelle | 15 septembre 2023 à 16:00
Les contraintes d'écriture qu'imposaient l'objectif et la situation ne masquent rien de votre humanité...
Ceux qui vous lisent ressentent l'émotion dans leur âme comme les rides qui courent sur l'eau vers l'horizon. Ils écoutent les moindres filets d'air en inclinant délicatement la tête pour sentir d'où vient cette risée...ils en tâtent la douceur en cherchant à s'enivrer d'une senteur d'arbre, d'air du soir ou d'une pluie jeune...
Rédigé par : Jean marie | 15 septembre 2023 à 22:01
Votre blog, je m'y réfère...
Je n'ai pas la chance d'aimer beaucoup d'auteurs...
Il n'y a guère que Sylvain Tesson et vous qui attrapez ma curiosité, la domestiquer en me permettant de rentrer en moi...comme un voilier qui salue la risée, comme une abattée parfaitement accompagnée par l'écoute qui provoque une vibration dans la quille et le safran...
Rédigé par : Jean marie | 15 septembre 2023 à 22:15
@jean-marie : ça me semble à la limite de la flagornerie, cette mise en parallèle avec un vrai écrivain, reprenez-vous !
mais bon, j'accepte quand même le compliment, parce que ça fait du bien. J'ai tenté en effet de traduire en mots des sensations, des émotions, des vibrations. Je suis vraiment heureuse que ça résonne pour vous. merci.
Rédigé par : isabelle | 15 septembre 2023 à 22:33
Le sujet de la transition, par essence, ne permet pas l'exploration de l'âme.
J'aime tant quand vous parlez de vos peurs, des lachetés, des concessions consenties pour la poursuite du voyage....quand vous vous oubliez...pour l'objectif !
Il y a tant d'humanité même et surtout quand nous ressentons que vous n'en pouvez plus, quand vous refusez de ressentir de vous être faite avoir, parce que c'est tellement pas vous, que vous n'êtes pas dans le troc, ou le commerce mais dans la sublimation...
J'écris cela pour vous dire tout ce que nous ressentons et vous n'avez pas à en rougir. Vous êtes un témoin de votre vie et nous vous remercions de témoigner avec autant de justesse et de pudeur.
Rédigé par : Jean marie | 15 septembre 2023 à 22:33
@Jean marie : je ne partage pas du tout votre avis sur la transition qui ne permettrait pas l'exploration de l'âme. Les conséquences des choix que je fais m'obligent à fouiller pour débusquer en moi des peurs ou des programmes culturels qui me font butter sur la route. Je pense indispensable et inéluctable que nous, les occidentaux prospères, acceptions de regarder en face nos petits arrangements avec l'équité mondiale. IL y a en chacun chacune d'entre nous, un champ entier d'évidences dans la façon de voir le monde qu'il va falloir revisiter si on veut apporter une contribution au lieu de continuer à participer au saccage.
Votre remarque me donne envie de peut-être écrire sur ces aspects-là....
Rédigé par : isabelle | 17 septembre 2023 à 09:42
Vous n'avez pas écrit sur les aspects de transition...
Entre temps, j'ai été me balader un tout petit peu...dans vos pas à vous trois!
Sur un grand voilier au départ de Montevideo, vers les Malouines, puis la Géorgie du Sud,la mer de Weddell, la peninsule Antarctique, les Shetlands du Sud , le Drake puis Ushuaia.
Je parle de vous trois car vous êtes un...
Je ne parle plus de la transition car c'est un concept qui pour moi ne peut trouver une déclinaison pratique, réaliste, proportionnée aux problématiques de l'interaction de
l'humanité avec la nature...
Je suis heureux que votre voix et votre plume ne se mélangent pas au brouhaha de la bonne pensance ambiante...
Rédigé par : Jean marie | 18 avril 2024 à 14:20
J'ai oublié de vous demander des nouvelles de Skol
Si vous en avez...
Rédigé par : Jean marie | 18 avril 2024 à 14:26
@Jean-Marie : votre insatisfaction sur mes écrits de ces derniers mois sonne comme un reproche. En est-ce un ? Entre-temps, si vous avez pris la peine de me lire, vous savez qu'il y a eu de gros changements pour moi. Je me débats avec plusieurs axes d'écriture et des complexités opérationnelles, notamment encore un changement de sol à cultiver. C'est toute une affaire.
Je suis amusée par votre amalgame entre nos voyages qui n'ont pas grand chose à voir l'un avec l'autre, ni par le moyen de transport ni par le parcours, ni par ne niveau de prise de risque, ni par le bilan carbone, ni par la durée, ni par l'intention, ni par le budget, et j'oublie sûrement encore quelques différences notables entre votre aventure et la mienne. L'usage du présent pour me ré-associer à un homme qui m'a profondément endommagée et est sorti de ma vie lorsque j'ai arrêté de servir son narcissisme, achève de me rendre perplexe quand au niveau d'attention que vous avez réellement accordé à mes écrits. Du coup, ça sème le doute sur vos compliments passés, zut.....
Rédigé par : isabelle | 19 avril 2024 à 01:12