Emotion en arrivant à Concarneau : la capitainerie n’a plus de place visiteur libre et nous suggère d’amarrer Skol le long de la Sereine. C’est Ariel qui prend l’instruction par radiotéléphone et mon oreille se dresse : ils ont bien dit « La Sereine » ? Ouahouu ! Sereine est l’un de ces voiliers mythiques qu’on ne nomme plus seulement par leur nom, mais auxquels on alloue l’article définit la, comme « la seule, la vraie, l’unique ». Une espèce de noblesse, des bateaux à particule, en quelque sorte. On dit La Sereine des Glénans ou même seulement La Sereine, comme une évidence, et cela montre qu’on fait partie des gens qui connaissent ce voilier au moins de réputation.
Les récits de navigation de mes parents sur ce voilier-école historique (qui navigue depuis 1952 et fut classé monument historique en 2001) ont bercé mon enfance, mais je ne l’avais jamais vu pour de vrai. Pendant qu’Ariel, à ma demande et sans tout à fait comprendre l’importance du moment pour moi, prend quelques photos, particulièrement de l’arrière pour que les noms de Skol et de Sereine soient visibles, pour la postérité, je glisse un regard d’enfant à travers les hublots. J’y vois la table à cartes et j’imagine mon papa encore jeune, déjà chauve, et déjà fumeur de pipe, plaisantant sur son daltonisme au cours d’une identification de feux: il est vert ou il est rouge ? . Je pousse le regard jusqu’au long de la coursive. J’y devine les couchettes étroites, entre lesquels ma maman se faisait bousculer jusqu’au mal de mer par le mauvais temps d’une traversée de la manche mémorable, ce qui ne la découragera pas de naviguer, d’ailleurs.
Ce magnifique vieux gréement, soigneusement restauré en 2002-2005, doté de voiles récentes mais encore taillées à l’ancienne et équipé de manière fort rustique, est toujours affecté à l’enseignement approfondi de la haute mer, de la navigation loin des côtes, comme le montre la montagne de provisions que l’équipage est en train de charger. Si j’aime tant la hauturière aujourd’hui c’est sans doute en partie grâce à ce bateau-là, par effet de transmission familiale, et j’aime à rêver que c’est à bord de ce bateau-là que j’ai eu mon premier mal de mer … avant même de naître.
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