Que font une danseuse-chorégraphe arménienne et un instructeur de parapente turc sur un voilier en route pour la Patagonie ? Jusqu'à l'achat de « Bue Belle » sur un coup de tête, rien ne les destinait à cette vie de voyage sur la mer. Rien ? Vraiment ? Ils ont quitté la Turquie il y a deux ans et sont arrivés jusqu'ici, là où se termine la navigation tropicale brésilienne. Nous les avons en effet rencontrés dans un des derniers mouillages aisément accessibles (1), juste avant les premiers grands sauts le long de côtes dans abris et aux météos incertaines, voire dures. Juste avant la zone où nous avons-nous-mêmes rencontré nos premiers "Coups de Sud". On n'arrive pas là sans une bonne dose de motivation profondément enracinée. Quel que soit le récit qu'on donne de soi-même, ce genre de chose n'arrive pas tout à fait par hasard.
Dans leur récit, on déniche quelques indices. Le père de Maral était pêcheur artisanal sur le Bosphore, la maison de son enfance était remplie de filets, elle sait depuis longtemps les exigences de cet univers. Ugur, lui, est un sportif de l'extrême, aguerri aux responsabilités en situation à risque et friand de la poussée d'adrénaline dont il dit ne toujours pas avoir assez en mer. On verra plus loin s'il a enfin sa « dose » d'émotions fortes. Car ils vont vers le sud, direction la Patagonie et même l'antarctique, dernier territoire, disent-ils, qui n'appartient à personne.
Ils intitulent leur projet, leur voyage et leur blog « Cahil Cesareti », « le Courage des Ignorants ». Et ils nous ont touchés par leur mélange d'ingénuité et de sérieux. Ingénus qu'ils ont été de prendre pour argent comptant ce qu'on leur disait au pays, que leur bateau était capable d'aller en antarctique, ingénus de partir en voyage sans avoir appris à naviguer au préalable, ingénus de croire encore, deux ans plus tard, qu'ils arriveraient jusqu'au bout du bout du continent latino-américain sans devoir affronter des vents contraires un jour où l'autre. Sérieux qu'ils ont été, semble-t-il, dans leurs préparatifs, apprenant dans les livres ce qu'ils ne pouvaient apprendre en questionnant les autres, s'engageant à deux dans la conduite et la maintenance du bateau pour augmenter les chances de prendre de bonnes décisions, questionnant de manière pointue les navigateurs plus chevronnés qu'ils croisent, pour découvrir au fur et à mesure ce qu'ils ont besoin de savoir pour continuer. Et ne se fiant pas au jugement des autres pour décider quand prendre la mer quitte à attendre des semaines que leur propre décision se forge. Des ignorants qui apprennent, vite.
Cela dit, il n’y a pas que le bateau dans leur vie, malgré la dictature des listes qui les guette autant que nous (1). Ils savent garder du temps et de l’énergie pour les choses de leur vie d’avant. Lui, la musique traditionnelle turque, chantant la douleur jusque dans l’amour, elle la danse en écho à cette musique, tantôt facétieuse dans une parodie de danse traditionnelle détournée par un nez rouge, pour contrecarrer la tristesse du chant, tantôt passionnée dans une improvisation corporelle intense, croisant son regard à chaque ralentissement du mouvement, danse ardente répondant à un chant d’amour. Coincés au mouillage par le mauvais temps, ils travaillent ensemble des recettes de cuisine de leurs grands-mères que même leurs mères trouvaient trop difficiles à exécuter (2). L’art et la cuisine comme manières de rester en contact avec le pays, pays où Ugur ne veut plus retourner, mais dont il suit paradoxalement de si près l’actualité politique (3). A peine arrivés en Uruguay, ils demandent à rencontrer l’ex-président Mujica ! Ils ont des questions à lui poser, au nom de toute la jeunesse turque qui l’admire comme un héro. Et pourquoi pas ?
- Anse de Pinheira au Sud de Florianópolis.
- Leur « listes de chose à faire pour le bateau » sont aussi longues que les nôtres.
- qu’ils s’empresseront de nous faire savourer à l’escale suivante !
- Ugur est quasi-addict aux réseaux sociaux turcs où plusieurs milliers de personnes suivent leurs aventures. Il faut l’entendre s’enflammer lorsqu’il parle de l'histoire et des enjeux de son pays, et de la manière dont il voit ces amis se transformer, se radicaliser, au contact des évènements et des discours belliqueux actuels.
Hell'eau!
Merci pour ce bel article sur Maral et Ugur. Nous avons pu admirer leur détermination et apprécier la beauté de leur musique au Cap Vert où nous les avions croisé en Décembre 2014. Depuis je cherche à suivre leur périple (et celui de leur autre amie turque qui navigue en solitaire!) mais je ne savais pas comment les contacter ! Donc cet article dans lequel je les retrouve bien tombe à la perfection!
Avez vous aussi eu le plaisir de goûter la soupe (spécialité de sa région!)déshydratée et préparée pour le voyage par la grand mère d'Ugur? C'est un régal! Mais il ne doit pas en rester beaucoup depuis le temps!
Encore merci de nous faire partager vos rencontres et votre voyage avec ces supers textes au travers lesquels on retrouve même parfois des amis!
Bon courage à vous et à eux aussi!
Maud, Jérémy et Cirrus
Rédigé par : Maud | 19 novembre 2015 à 11:51
@ Cirrus : la soupe, il en restait un peu. Si peu que Ugur a prévenu la grand-mère qui, dit-il, a aussitôt proposé "d'en confier une provision au président uruguayen Mujica (ex-président) qui était a ce moment en visite en Turquie !".
Bon courage à vous deux également!
Isabelle
Rédigé par : Isabelle | 07 décembre 2015 à 16:33