Caleta Colworth, en bordure du Canal Smyth. Je viens de larguer deux des trois amarres qui nous lient à la terre. De petites bourrasques annoncent déjà que la fin de l'opération « départ » ne sera pas simple. Cette caleta est si petite, on a tout juste la place, il faut faire vite sinon Skol ira se frotter le derrière contre la roche des rives toutes proches. L'oiseau gris-bleu choisi ce moment-là pour oser un vol stationnaire à deux mètres de moi, à hauteur de ma tête. Les yeux dans les yeux quelques secondes. D'habitude, on les voit de plus loin, quand ils évoluent dans la cime des arbres. L'instant magique se prolonge, je retiens mon souffle, n'ayant cure de l'urgence, du stress de mon homme resté à bord pour maîtriser la conduite du bateau pendant la manœuvre. D'habitude, nos rôles sont inversés et je suis émerveillée de ce privilège qui m'est accordé de saluer moi-même le maître du lieu cette fois-ci.
L'Amérique Latine est un véritable paradis pour les observateurs d'oiseaux, un bon tiers des espèces du monde est ici ! Ce grand martin-pêcheur – 40 cm – est très répandu sur le continent. Nous l'avons croisé au Brésil, en Uruguay et retrouvé ici dans le grand sud, dès la première caleta fuégienne. Et puis dans chaque caleta, au moment de l'amarrage aux arbres alors qu'on troublait leur paix. Ou bien le second jour, lorsqu'ils s'étaient accoutumés à notre présence et reprenaient place sur leur perchoir préféré. Ou encore au moment du départ, pour le dernier salut, comme ici. Au point que nous avons pris l'habitude de les chercher du regard et de l'oreille, à chacune de nos escales dans les canaux. Nous les considérons comme des hôtes bienveillants, qu'il faudrait déranger le moins possible et avec lesquels il importe de rester courtois.
Instant magique que ce tête à tête suspendu en l'air, magique à l'image de cet abri minuscule mais si joli et si bien protégé par les arbres. Les choses se sont un peu tendues depuis que nous avons quitté Magellan et s'aggraveront deux jours plus tard (1) mais cette caleta et le salut du gardien avant une belle journée de voile dans le Canal Smyth font partie des récompenses mémorables.
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L'étape d'avant nous a vu partager trois jours d'escale avec d'autres voiliers. La socialisation forcée a rompu notre tête à tête avec la nature et rendu Ariel grognon. Pour faire bonne mesure, la santé de Mister Taylors (notre chauffage) sous réparation de fortune depuis le seño Agostini, a recommencé à péricliter et une fuite d'eau récurrente prend des proportions que la condensation naturelle sur les parois métalliques de la coque ne suffit plus à expliquer. A l'étape suivante, Ariel se brisera sévèrement le dos dans un faux geste et là, c'est moi qui, effrayée de la responsabilité et de la charge de manœuvre me revenant, deviendrai grognon à mon tour. Nous accusons sans doute tous les deux la fatigue accumulée dans ces semaines de navigation difficile.
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