De loin, il semblait tout petit. Presque décevant. Mais les heures ont passé, à faire route vers le nord, remontant le seño Eyre sur toute sa longueur, sous un ciel limpide, intégralement dégagé des brouillards du matin. En fin de journée, nous étions à son pied, pour une première rencontre. Approche prudente, slalom entre les blocs de glace, un œil rivé sur le sondeur, tâtant la moraine que le glacier pousse devant lui, comme un pli de tapis. De l'autre œil, je parcours de bas en haut, et de droite à gauche, sans fin, la face du Ventisquero PIO XI qu'Ariel contemple, hébété lui aussi devant tant de majesté. Falaise bleue de cinquante à cent mètres de hauteur, torturée, fragmentée, parfois branlante, qui s'étire devant nous sur plus de trois kilomètres de large. L'un des plus grands glaciers maritimes au monde (1). Par-dessus le bruit du moteur, j'entends Ariel crier qu'un bloc va tomber ou est tombé, il pointe du doigt et nous voyons une plaque colossale glisser et se fracasser en bas dans une immense gerbe d'eau. (2)
Le lendemain, à la faveur du temps calme qui se prolonge et de la tranquillité que nous a inspiré la première rencontre, nous revenons. Je rêve de l'entendre, moi aussi, le chant du glacier. J'en rêve depuis si longtemps ! Moteur éteint, pour désencombrer mon esprit des soucis du bateau, nous pique-niquons à bonne distance, dérivant simplement parmi les glaces flottantes. C'est incroyable, il parle tout le temps ! Un murmure, un bruissement comme de l'eau qui coulerait dans des millions de petites rigoles, des froissements, des craquements, des grincements et parfois d'immenses tonnerres inquiétants, des détonations fracassantes, sons de la glace qui frotte, qui glisse, ou qui se brise d'un coup, au loin, dans les tréfonds de l'immensité du glacier.
- Il n'est accessible qu'à très peu de personnes : pêcheurs connaissant les ressources du seño, expédition scientifique rare, voiliers de passage chanceux ou suffisamment patients pour attendre à proximité les conditions météo favorables, comme nous l'avons fait pendant quatre jours où le brouillard a dominé. Il semble qu'aucun circuit touristique ne soit en mesure de le commercialiser. Tant mieux.
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Dans le silence qui suit, nous attendons, anxieux, la vague, le mini-tsunami, qu'une telle masse, en s'effondrant, ne va pas manquer de former. Rien de tel ne se produit, l'eau reste calme. Le sommet de la moraine, qui se trouve en fait juste sous le niveau de l'eau à l'endroit où le bloc s'est détaché, a amorti la totalité du choc.
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