Au-dessus des nuages que Momo déroule en une nappe quasi permanente pour bien nous montrer qui est le chef, d'autres personnages s'agitent, du moins est-ce la conclusion à laquelle je suis parvenue après une observation attentive. Quelques sous-fifres bien intentionnés qui ne voudraient pas qu'on garde un si mauvais souvenir de leur région, peut-être. Ils œuvrent, à leur mesure, avec un talent remarquable, à adoucir les choses pour nous. Ils misent sur notre sensibilité à la beauté des paysages et ils ont raison.
Je ne veux pas croire qu'il s'agisse de hasard. Il doit bien y avoir quelqu'un, là-haut, pour entrouvrir les nuages au parfait moment et quelqu'un d'autre pour s'emparer d'un rayon de soleil égaré et le braquer là, juste sous nos yeux, sur un flanc de montagne ourlé de sa forêt sombre, sur une cascade colossale, sur le pied d'un glacier ou le sommet d'un autre. Un coup de projecteur bien ciblé, ou bien un mouvement de balayage, selon l'inspiration. Combien de fois ne les ai-je pas remerciés de leurs bons offices, de leur ponctualité et de leur sens de la scénographie !
Même lorsque les nuages ne s'ouvrent pas pour révéler un pan de paysage, il y a des beautés singulières. Par exemple, une averse de grêle qui s'abat sur le clapot et l'adoucit en le blanchissant. A couper le souffle au sens propre et au sens figuré ! Ça pique le visage et les mains, mais ça ne dure que quelques minutes, les conditions changent si vite. Ou bien la brume. J'aime la bulle de visibilité qui avance avec nous, que nous poussons devant nous ou bien qui nous accompagne. Elle dévoile des formes devant et se referme sur les formes et les sens à l'arrière. Très différent de la brume au large, quand l'absence totale de repère donne le vertige.
Un jour, dans le canal Doxrud, au déboulé de l'Estero de las Montanas, un williwaw s'est fabriqué littéralement autour de Skol, sous mes yeux. Au lieu de venir de loin, il a démarré sa course là où nous étions à ce moment-là. Je l'ai senti survenir quelques secondes avant, par une modification subite de la pression de l'air, sans doute. J'ai eu l'impression de le capter par tous les pores de ma peau et j'ai « su » qu'il allait se calmer très vite. Plus tard, j'ai tenté de partager avec mon homme cette sensation quasi mystique que je ressens désormais souvent quand je suis à la barre. C'est comme si l'environnement pénétrait à l'intérieur de moi par les yeux, par le nez, par la peau et même au-delà. Quand il fait mauvais et froid, nous nous relayons fréquemment à la barre, pour pouvoir nous réchauffer un peu à l'intérieur, reposer le dos et les bras. Mais souvent je rechigne à quitter mon poste, je prolonge ma moitié de temps de barre ou je raccourcis la sienne d'un « c'est à moi maintenant » accompagné d'un sourire. Certes la barre est le poste où mon niveau de stress est le plus bas, car j'aime mieux avoir l'impression de maitriser quelque chose, mais il y a aussi ce contact avec le milieu environnant qu'on n'éprouve pas derrière les hublots de notre habitacle, et qu'on retrouve en enjambant le capot de descente. « C'est toujours beau ! » dit mon homme. Nous vivons nos dernières semaines dans cette région et quelque chose en nous aspire à faire le plein de ses émotions grandioses.
Les éclairagistes auraient l'air malin si personne ne prenait des photos de ce qu'ils éclairent ;) Il faut aussi être là au bon moment et avoir les yeux grand ouverts.
Bonne idée de distiller les infos, les photos et les évocations au goutte à goutte...vu leurs concentration et qualité , une surdose pourrait nuire à la santé !
Merci
Rédigé par : Yves sur la Curieuse | 31 mars 2018 à 17:50
Qu’elles sont belles ces photos et quel talent poétique et imagé pour essayer de nous évoquer ce que vous vivez si intensément.
Profitez!profitez! Et nous espérons par quelque moyen que ce soit avoir la chance de partager votre belle aventure .( peut- être monterez- vous un film ?)
Rédigé par : Liliane et André | 31 mars 2018 à 19:07
@ Yves :
Le goutte à goutte n'est pas totalement délibéré, cette fois-ci. Il nous faut du temps pour dégager ce qui mérite d'être montré et décrit.
@ Liliane et André
Un film, oui mais quel film ? Comment ne pas tomber dans la banalité du film de voyage, pour lequel de toutes façons nous n’avons pas les images? A suivre...
Rédigé par : isabelle | 04 avril 2018 à 20:56
Bahh!!
Fantastique, j'en des ai frissons.
En lisant vos lignes, je me dis que vous êtes très proche de l'essentiel.
Rédigé par : Bernard | 04 avril 2018 à 21:08
@ Bernard :
L’essentiel …. j'ai du mal à mettre des mots là dessus qui ne seraient pas pédants ou grandiloquents.
Rédigé par : isabelle | 04 avril 2018 à 21:10