Cap-hornier. Celui qui a le droit de pisser au vent. Un rêve qui a fondé en partie notre projet de voyage. Un graal qui a perdu de sa valeur à mes yeux dès la première saison dans les canaux, parce que la remontée du détroit de Magellan d'Est en Ouest, puis des canaux de Patagonie contre vents et courants avait bien étanché ma soif de challenges. Mais un objectif qui a continué à nous porter jusqu'ici. Ariel par un vrai désir, une aspiration au statut, au symbole, à l'accomplissement et moi par solidarité avec lui, avec notre projet initial. Quand il me voit hésiter et freiner mon homme m'interpelle :
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tu n'as pas envie de couronner notre voyage d'un final magnifique ?
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Mais regarde ! Si jamais nous n'allons pas au Cap Horn, il y aura des compensations, tout de même !
Ici commence en effet le grandiose Canal Beagle. Il est bordé au nord par la Cordillère Darwin (1), cette chaine montagneuse qui prolonge les Andes en s'incurvant vers l'Est. De profondes vallées permettent d'accéder aux langues de glace qui descendent du massif montagneux. Parfois même la glace vient se déverser directement dans le Beagle lui-même à tel point que certains l'appellent « avenue des glaciers ». Pour nous, grands amateurs de face à face avec les géants craquants et ruisselants, il y a une tentation puissante.
Notre longue attente à ce second camp de base surprend le veilleur de l'Armada qui réside à portée de radio et à qui il faut rendre compte de tout mouvement. Il a l'habitude que les voiliers passent très vite. Ils arrivent le soir et repartent le lendemain. Ceux qui vont d'Est en Ouest, vers le pacifique, sont repus de leurs visites dans les vallées glaciaires et préoccupés de ce qui les attend, de la longue route qu'ils ont à parcourir dans une région qu'ils ne connaissent pas encore, pour la plupart. Ceux qui vont d'Ouest en Est, vers l'Atlantique, viennent de loin et sont pressés d'arriver à Ushuaia ou à Puerto Williams pour se reposer, ravitailler ou réparer des avaries. Bref, les voiliers qui circulent dans cette zone savent où ils vont et ne traînent pas en route. Sauf nous. Notre contact radio quotidien à propos de la météo semble l'amuser (2) il nous souhaite maintenant une bonne journée ou une bonne nuit quand nous lui souhaitons bonne garde. Le cœur balance. Voir les glaciers ou être nos propres héros?
Six jours. Bricolage, promenades-cueillettes, travaux de dentisterie. La collection des petits paniers tressés s'enrichit de formes nouvelles. Une dernière fois nous consultons l'oracle, la traduction en vents et vagues probables des calculs savants d'un logiciel, boule de cristal imparfaite mais essentielle à notre prise de décision. Je sais que c'est un grand renoncement pour mon homme, mais il faut en convenir, nous n'avons ni l'un ni l'autre envie d'y aller dans les conditions annoncées, et nous perdons chaque jour l'un et l'autre l'envie de continuer l'attente. Alors nous choisissons le Beagle, le Bigleux, le Bagel comme nous avons fini par le surnommer à force de le contempler, tantôt moutonneux de brisants, tantôt fumant du panache de formidables vendavales (3), tantôt obscurci par les grains, tantôt lumineux et brillant. Le Beagle, d'Ouest en Est, avec panache ! Pas d'arrêt à Ushuaia (4), rien que des caletas sauvages jusqu'au bout et puis ensuite un peu d'Atlantique jusqu'à Puerto Deseado directement ! Ça sera magnifique aussi.
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Massif montagneux surmonté d'une calotte glaciaire dont nous avons fait connaissance il y a deux ans, versant nord. C'était notre première rencontre avec les glaciers maritimes.
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Jamais nous ne mentionnons notre projet de sortir au large par la Baie de Cook pour faire le grand tour. Avec lui, nous n'évoquons que la météo dans le Canal Beagle, qui certains jours s'agite fortement. Le permis de naviguer dans les eaux chiliennes que nous avons obtenu à Puerto Natales est resté volontairement flou, nous risquerions des objections et un refus de leur part en jouant franc jeu, car de nos jours, la seule route du Cap Horn officiellement agréée par les autorités, qu'empruntent la majorité des voiliers, est celle que nous appelons de manière un peu péjorative le « Cap Horn Tour ». Un trajet par petits sauts et presque sous escorte, jusqu'à la dernière demi-journée de navigation, dûment autorisée par l'armada un jour calme, qui permet de contourner l'ilot portant le fameux Cap, voire d'y faire escale pour se faire établir un certificat de passage du Horn. De cette option nous ne voulons pas, ni Ariel ni moi.
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Déboulant des vallées glaciaires, pour se déployer dans le Beagle, par fort vent du nord accéléré par le soleil, ce sont les plus grands que nous ayons jamais vus, mais heureusement très loin de nous. Nous avons choisi un jour « sans » pour nous engager dans le Canal, et constamment surveillé nos arrières, au cas où.
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Toujours pas envie de sacrifier à l'évidence de l'escale mythique d'Ushuaia, pas d'avarie importante à réparer ni pénurie en vue.
Magnifique !
Rédigé par : Lolotte | 21 avril 2018 à 13:07
Pas mieux: Magnifique ! (la photo au centre avec les "ronds dans l'eau" est de toute beauté).
Rédigé par : michel fromm | 23 avril 2018 à 09:54
Difficile et sage décision !
Vu depuis mon petit bout de nez, je pense que le canal de Beagle a beaucoup d’atouts pour compenser le Horn et consoler grandement ARIEL!
Et rassurer tous ceux qui vous suivent de loin...
A lire Isabelle, vous allez vous régaler de paysages grandioses, transformés tour à tour par la météo qui ne sera pas en reste pour vous donner votre quota d’émerveillement ..ou de saines inquiétudes pour franchir certains caps.
Très fort on vous assure de votre bon choix, vous n’avez pas démérité.
Haut et fort ,on vous dit encore bon vent à vous trois.
Rédigé par : Liliane et André | 01 mai 2018 à 19:03
Bonjour à vous deux,
merci pour vos superbes photos, vos récits captivants et un peu effrayants
quand on n’est pas tout à fait au parfum des aléas maritimes.
je vous admire beaucoup, beaucoup.
je vous envoie une photo prise de l’estacade de Nieuwpoort , position de loin plus confortable que d’un voilier.
Bonne navigation dans les eaux mouvementées.
Prudence en première ligne bien sûr.
Merci encore
je vous embrasse
Rédigé par : Julia | 03 mai 2018 à 16:05