A l’heure ou ces lignes seront publiées (1) Skol sera déjà bien engagé dans la traversée de l’océan Atlantique. C’est une navigation très spéciale pour nous. La dernière « grande » mais aussi la « plus » grande. Nous repassons la tête à l’endroit, retrouvons des constellations longtemps perdues de vue. Nous naviguons sous des latitudes globalement plus clémentes que d’autres, et nous allons retrouver progressivement les systèmes météo de l’Atlantique Nord que nous connaissions bien, à une époque... Pour autant, ça n’est pas une promenade de fillettes. Il y a quelques mois encore, cette traversée future m’impressionnait beaucoup, voire me flanquait la trouille, mais Ariel a bien noté que ma sensibilité aux dangers était à fleur de peau. Depuis, nous avons renoué avec des airs et mers moins brutaux ; ma réconciliation avec le cosmos est en excellente voie. Et puis nous avons désormais un petit désalinisateur de survie, ce qui change tout pour moi car l’essentiel de mes peurs dans cette traversée-là se concentrait autour de la possibilité d’une pénurie d’eau potable.
Les points de départ et d’arrivée de notre traversée sont un peu inhabituels. Contrairement à la plupart des bateaux qui font le grand tour par la Guyanne et les Antilles avant de rejoindre l’archipel des Açores, puis l’Europe continentale, nous tentons de rallier directement les Açores, au départ du Brésil, sans passer par la case Antilles. Les Açores se situent au milieu de l’Atlantique Nord, c’est-à-dire pile au nord du point d’où nous sommes partis il y a quelques jours, la pointe la plus à l’Est du Brésil. C’est donc une traversée océanique un peu bizarre, dont l’orientation générale est sud-nord et non pas ouest-est. Cependant, quelques obstacles nous empêcheront très probablement de faire route directe vers le nord comme la géométrie pure le suggèrerait. Où se situera le Pot-au-Noir ce mois-ci ? Est-ce qu’il nous embêtera tout de suite ou bien nous laissera-t’il profiter un peu des alizés du Sud-Est avant de nous couper la route avec ses orages et caprices ? Combien de temps mettrons-nous à le (re)traverser ? Ensuite, jusqu’où l’alizé du Nord-Est et courants dominants nous obligeront ils à incurver notre trajectoire vers l’Ouest ? Il faut nous attendre à plusieurs semaines de route sur un seul bord, le bateau toujours penché du même côté. Devrons-nous alors traverser ou contourner la zone de calme de l’anticyclone des Açores ? Enfin quelles surprises nous réserveront les dernières centaines de milles à l’approche des Açores ?
La grande arabesque que nous allons parcourir sera nettement plus longue que la traversée directe, quelques trois mille cinq cent milles, plus de six mille kilomètres. Nous avons préparé le bateau de notre mieux. Les voiles ont été révisées et réparée, la coque carénée, les entrées d’eau jugulées, le gréement vérifié. Yann le moteur a été bichonné et Barkaï le régulateur a reçu un check-up complet avec resserrage de boulons méticuleux (2). Mais même en l’absence de toute avarie, il nous faudra deux mois pour franchir cette distance. Nous avons provisionné pour trois mois et espérons que personne ne s’inquiètera.
L'émotion était forte à l’heure de dire au-revoir à un continent entier, sur les rivages Sud et Est duquel nous avons passé quatre ans et demie au total (3). Il est possible que nous ayons encore des choses à écrire sur cette aventure physique et humaine, et j’espère que les conditions de la traversée seront assez régulières pour permettre cet exercice de détachement.
- Par la magie de la publication différée, qui, depuis plus de dix ans, nous permet d’écrire et de travailler les photos à un rythme qui nous convient, ce qui, nous l’espérons, contribue à la qualité de notre œuvre commune.
- Travaux effectués, de manière un peu surréaliste pour nous, dans une petite marina franco-brésilienne organisée comme une enclave européenne en territoire brésilien. La chaleur, les nuisances sonores de fin de semaine, les moustiques et les staphylocoques sont brésiliens mais nos voisins de ponton étaient presque tous français et la facture libellée en euros !
- Pour mémoire nous n’avons passé que quatre mois en Afrique de l’Ouest. Ca semblait beaucoup au début du voyage.