Aujourd’hui déjeuner sobre en surveillant le sondeur, car il est prévu d’aller prendre le café à Noïa.
Ca fait 3 jours que nous surveillons le sondeur, alors que le bateau est attaché à une bouée fixe, squattée en face du chantier naval de Freixo. On surveille le sondeur, on prend des notes et on fait des calculs savants. Car la marée ne colle pas avec les tables que nous avons obtenues à Portosin, pourtant distant de seulement 2 miles. Une heure et demie à deux heures de décalage, ça fait beaucoup, surtout quand on sait que l’exercice du café à Noïa sera pointu.
Noïa est un vieux port du XVème siècle, qui s’est, depuis, passablement envasé. On y accède par un chenal sinueux creusé par la rivière, et la dernière ligne droite est marquée par les restes de deux digues de calibrage de plus d’un mile de long. Entre Freixo et Noïa, il y a un passage de bancs de sable jusqu’à Punta Testal, où nous pourrions laisser Skol 2 ou 3 heures, et ce long résidu de chenal que Skol ne pourra emprunter, mais que nous comptons parcourir en annexe.
Notre sondeur indique 5m de profondeur, c’est le niveau d’eau que nous avons estimé nécessaire pour passer les bancs de sable qui nous séparent de Puta Testal. Selon nos calculs, il doit y avoir 1,50 au dessus de chaque grain de sable entre nous et cette zone. Or, dérive relevée, nous calons 1,10m . Ca laisse une petite marge. Petite, mais la marée monte.
Nous partons de Freixo avec la dérive légèrement baissée, en guise d’avertisseur. Si on touche un banc de sable, il sera possible de finir de la relever pour nous en dégager. Théoriquement.
Quelques minutes plus tard, alors qu'Ariel est à l'avant à scruter la profondeur d'eau par transparence, je claironne les profondeurs annoncées par le sondeur. 5m, 4m, 3m, ça semble se stabiliser vers 2,70m , puis ça ré-augmente temporairement, le temps de souffler un peu, et nous abordons le dernier banc de sable. Zone d'eau claire: 2,50m, 2m, ma voix se tend un peu alors que j'égrène tous les dix centimètres de réduction de la profondeur ... jusqu'à 1,40m, profondeur à partir de laquelle je me tais, sidérée de voir que ça monte toujours, me demandant quand on va toucher, espérant que ça replonge vite pour que je puisse de nouveau annoncer la vérité à Ariel, qui, lui, cherche désespérément un indice dans la couleur de l'eau, pour m'indiquer s'il faut aller plutôt à droite ou plutôt à gauche. A 1,10m, je craque et je lui annonce, en imaginant comment son sang se fige. Normalement nous devrions avoir touché le fond. Mais il y a un "pied de pilote", dans notre sondeur, ha, oui ! En tout cas, on ne doit vraiment pas être loin. Mais on avance toujours, dit le GPS, et à belle allure, eus égards au courant et au vent qui nous poussent tous les deux vers le fond le la Ria, qu'on le veuille ou non. Bref, de longues minutes tendues nous font parcourir le banc à 1,10m théorique (sans doute 1,40m puisque notre pied de pilote est d'aproximativement 30cm).
Arrivés à Testal, de nouveau dans plus de 3m de fond, nous attrapons un corps-mort de pécheurs. Rassurés de nous voir confirmé que nous pouvons y rester une paire d’heures, nous avons quelques minutes devant nous seulement pour décider de passer à l’étape suivante, avec l’annexe. Mais…. Et si le vent monte pendant qu’on le prend, ce café ? Et si le moteur de l’annexe nous lâchait, comme il y a deux jours ? et si ? et si ?
Finalement, on y va pour une petite demi-heure de zodiac, avec un cormoran perché au sommet de chaque pylône du chenal, comme les vautours dans les westerns, coassant : « étranger, ici tu n’es pas le bienvenu ».
Le café fut savoureux, et pris au cœur du dédale de ruelles de la vielle ville, face à une église romane dont le portique sculpté représentait …. un orchestre. Le retour fut nettement moins tendu, avec plus d’eau sur les bancs et moins d’inconnues à découvrir.
Pensées émues pour Roberto et Hector, qui riaient de me voir verdir à 1,70m de sondeur dans le Rio Minho !