Mais qu’est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer depuis six semaines aux Açores ? Alors qu’ils sont si proches de la France où les attendent familles et amis ? Tant de choses qu’il serait difficile d’en rendre compte si c’était notre intention. Heureusement, la ligne éditoriale de ce blog n’est pas de conter chacune de nos péripéties mais plutôt de laisser émerger les meilleurs morceaux seulement. Certes nous avons en tête la saison qui avance et l’idée est bien de traverser le golfe de Gascogne avant la fin de l’été. Mais ici, nous avons rejoint Meme (prononcer Mimi) et Mike, anciens navigateurs dont nous avons fait connaissance il y a plus de cinq ans sur les pontons de Locmiquelic, justement quelques mois avant notre grand départ. Ils se sont entretemps reconvertis en permaculteurs débutants, pour des raisons de santé.
Voilà donc trois ans que nous suivons et soutenons à distance cette aventure qui nous touche de bien des manières (1). Nous demandions à chaque escale les nouvelles de la santé de Mike, les dernières anecdotes à propos des arbres et le relevé des naissances de poussins et canetons. La promesse dans l'air était que nous passerions les voir sur le chemin du retour, pour voir comment ils avançaient, pour apprendre à partir de leur expérience (2). Ils nous ont accueilli les bras ouverts, comme des invités, le gite de location est libre, vous pouvez vous y installer. Mais notre idée n’était pas de prendre des vacances à la ferme. Nous, ça faisait longtemps qu’on envisageait ce séjour sur leur terre comme la suite de nos aventures à la ferme en Uruguay, un second stage pratique, dans un environnement différent. Alors on les a un peu surpris en leur disant qu’on voulait travailler avec eux. Ou plutôt, que je voulais travailler avec eux et peut-être qu’Ariel se joindrait à moi. Eux, ils n’avaient jamais été vraiment aidés au jardin, autant par isolement relatif que par envie de faire les choses par eux-mêmes, donc on les a encore plus surpris, je crois, par la quantité et la qualité de notre contribution.
La micro-ferme est située un peu à l’intérieur et un peu sur les hauteurs de la petite ile de Santa Maria, la plus septentrionale méridionale des Açores. Elle bénéficie d’un climat très généreux, suffisamment humide, sans température extrême grâce à la présence de l’océan. Le lieu-dit s’appelle « Les âmes » et le village le plus proche « Saint Esprit », c’est dire l’atmosphère paisible dans laquelle nous baignons. Nous en sommes à notre troisième séjour-école, en alternance avec des retours au bateau - lequel nous attend sagement à Vila Do Porto (3) - et je ne me lasse pas du paysage. Cette partie Est de l’ile est gracieusement vallonnée, très verte, nous sommes à 250m d’altitude et à quelques encablures de la mer, qu’on aperçoit dans l’échancrure de la vallée. Au nombre des différences entre la ferme uruguayenne et la micro-ferme açoréenne, il y a déjà ceci, perceptible à chaque minute: travailler dur, oui, mais dans un environnement magnifique ! La terre d’Alejandro était plate et si perdue au milieu d’une immense plaine qu’on travaillait certes dans la joie, mais sans l’envie de redresser la tête pour profiter de la vue.
Il y a bien d’autres différences, qui se sont révélées au fur et à mesure. Ce n’est pas parce que les deux projets consistent à cultiver sans pesticides ni fertilisant chimique qu’ils se ressemblent. L’un était un projet de production pour la vente, l’autre une production pour l’alimentation familiale et cet écart de visée entraine un nombre incroyable de divergences de choix. Diversité des cultures et organisation de l’espace notamment. Là-bas on plantait en rangées droites et efficaces une vingtaine de produits maraichers courants. Ici on cultive des centaines de fruits, légumes et plantes aromatiques ou médicinales différentes dans ce qui ressemble à un puzzle démonté et dont les pièces auraient été jetées sur la pente en glissant un peu de guingois. J’ai mis beaucoup de temps à me repérer dans ce labyrinthe et je patine encore parfois quand Meme m’envoie installer le goutte à goutte dans les haricots du fond. Tiens, je ne me souvenais plus qu’il y avait des haricots au fond, là bas, après la haie coupe-vent, en obliquant un peu à gauche devant le pied de myrtille arbustive, en laissant les fruits de la passion à droite et en allant juste au-delà des tournesols qui sont maintenant bien visibles avec leurs grandes fleurs ouvertes. Ha, oui, il y a bien un carré de haricot, là. D’ailleurs ils ont commencé à produire ! Pas comme l’avocatier qui leur fait déjà un peu d’ombre. Lui, il lui faudra encore quelques années de croissance avant de donner.
La pente de ce terrain est une pure merveille, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. Certes, elle fatigue un peu les chevilles et on manque parfois de perdre l’équilibre en circulant dans des allées un peu trop étroites entre les tomates et les betteraves. Les tomates côtoient patates douces et salades diverses avec un pied de céleri dans le coin, et les betteraves compagnonnent avec des blettes, de la roquette sauvage quelques choux et une espèce d’épinard à feuillage pourpre délicieux en salade qui s’appelle arroche. Je pourrais écrire un chapitre entier sur les expériences d’associations de culture que Meme pratique à longueur d’année. Bref, on perd parfois l’équilibre sur ce terrain mais sa pente, son orientation et sa situation partiellement sous l’ombre d’une colline peuplée d’arbres de haute futaie introduit des différences climatiques significatives. Il pousse en haut du terrain des noisetiers, pommiers, pêchers, entre autres espèces relevant d’un climat tempéré, et en bas des manguiers, des avocatiers et des bananiers, entre autres espèces carrément tropicales. Quelle profusion ! Certes les arbres fruitiers sont encore très jeunes mais on imagine tout à fait le petit paradis sur terre qu’il va devenir en moins d’une décennie. Pour le moment, nous savourons de nouveau l’infini bonheur de passer au jardin cueillir un assortiment de feuilles et fleurs comestibles à midi moins dix. Dix minutes de la terre à l’assiette, la saveur des circuits courts, ça vaut aussi pour les légumes !
- Au niveau anecdotique nous leur avons fait parvenir depuis Chiloé par des voies compliquées échappant aux contrôles sanitaires, un kilo de dents de l’ail géant qu’on aimait tant, afin qu’ils en démarrent la culture. Au niveau plus substantiel, je leur ai prêté sans intérêt des fonds qui manquaient au démarrage de leur projet. Entre ces deux registres, des échanges nombreux sur les questions de santé qui démarraient toujours par un échange de nouvelles de la famille Véra (Aloé), la plante mère sédentarisée aux Açores pendant que sa petite continuait à naviguer à notre bord.
- Et pour récupérer assez d’ail géant pour en démarrer nous-même la culture France bientôt.
- "capitale" de cette ile de 97km2 et 6000 habitants.