Il y a des jours, comme ça, où on a juste envie de rendre le tablier, mettre fin à l'aventure marine et redevenir terriens. C'est un jour qui faisait suite à une semaine de vents forts, qui avaient compliqué voir interdit les débarquements à terre et dont le mugissement permanent nous avait aiguisé les nerfs comme des lames de rasoir. Eh oui, en Patagonie, le vent s'en donne à cœur joie ! On était prévenus, ça s'appelle les 40èmes rugissants. C'est un jour où on s'est fait appeler au saut du lit par la corne de brume d'un pêcheur qui passait là et voulait nous signaler que notre annexe, notre précieuse Banana était en train de couler à la remorque derrière Skol (1). Merci les gars, on s'en occupe ! Un jour donc où trente secondes après être sortie du lit simplement pour faire pipi avec l'intention de retourner sous la couette rapido, je me retrouve à tirer de toutes mes forces sur un bout, en réveillant Ariel d'un grand cri, à constater que la barque est comme disloquée parce qu'elle a perdu une de ses planches raidisseuses, à imaginer les travaux de réparation à faire dans un bled paumé à 8 km de marche à pied. Vive la vie au mouillage dans la lagune « tranquille » !
Un jour comme ça, c'est un jour de goutte qui fait déborder le vase.
Parce qu'en plus la veille en rentrant au bateau on a trouvé le panneau de fermeture en plexiglass fendu sans avoir la moindre idée de pourquoi. Y'a des mystères, parfois. On a cru un instant qu'on avait été cambriolés, mais non. Le pire n'est jamais certain, n'est-ce pas ?
Parce que en outre l'avant-veille, Suzette ayant refusé de se remettre au travail après une longue pause depuis le Sénégal, on a osé le grand démontage du moteur pour un vrai nettoyage du circuit de refroidissement. Et là, flute, deux vis se sont cassées, l'autre moitié restant bloquée dans le bloc moteur. On aura beau nettoyer le circuit comme un sou neuf, impossible de remonter. Pas d'annexe motorisée pour nos envies de visiter la lagune, donc, car il faudra au moins une perceuse à colonne pour aller les extraire ces foutues vis ! La bonne nouvelle, c'est que le joint de culasse n'a plus de secret pour nous, ha ! ha !
Parce qu'auparavant, en arrivant ici, malgré l'intervention d'un plongeur à Mar Del Plata, le circuit d'eau de mer du moteur principal du bateau s'est encore mis en alarme, bouché par on ne sait quoi. On a trouvé de tout, au fil des sessions de débouchage : méduses, petits poissons, déchets, … Donc il semble qu'on n'a pas vu la fin de ce stress qui nous suit depuis la descente du fleuve Saloum : l'angoisse de perdre la propulsion du moteur à chaque entrée ou sortie de port, à chaque approche ou éloignement de la côte. (2)
Parce que dans notre esprit, le séjour ici était supposé être relax, paisible, dans la nature, après deux semaines de travail intensif sur le bateau à Mar Del Plata, où certains problèmes ont été résolus mais d'autres non, et où de nouveaux problèmes sont apparus. On rame à contre-courant dans la liste des choses à faire et on avait vraiment besoin d'un break.
Parce que les matériaux d'aujourd'hui ne valent pas les anciens et que même quand on remplace à neuf - des haubans, des hublots, des pompes à pied - ça tient moins longtemps que c'en est inquiétant à la longue. Merde, ras le bol de ce bateau qui se déglingue de partout. De partout ? Pas tout à fait quand même. Skol flotte encore, l'eau est dehors et le mat est bien dirigé vers le haut. Rappelons la devise du marin philosophe : Water Out, Mast Up ! Et on est toujours amoureux. Des navigateurs que nous avons croisés ont eu des moteurs complètement cramés, des mats tombés, des problèmes graves de santé, des pannes récurrentes d'instruments de navigation, des cambriolages pour de vrai ou des divorces en chemin. Certains parlent de leur ras-le bol du chantier permanent, les autres ne semblent pas fléchir le moins du monde dans leur choix de vie, malgré les aléas et les moments difficiles.
Alors … on continue ?
Le soir même la famille de pêcheurs (3) qui habite au bord de la lagune et dont l'un des fils nous a pris en bateau-stop, nous fait cadeau d'une vieille planche et nous prête une scie sauteuse et deux tréteaux pour la découpe. Le lendemain et le surlendemain, à bord de Skol, la planche est rabotée, percée, poncée et peinte, le vent vigoureux faisant tournoyer les copeaux et poussières et sécher la peinture à grande vitesse. Et hop !
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Un simple changement d'habitude dans l'amarrage de Banana conduit à un incident sérieux. Dans le Saloum, on a eu parfois des conditions semblables de vent fort et de fort courant qui se contrent l'un l'autre la moitié du temps, mais on amarrait le canot au flanc de Skol par peur que les pirogues matinales ne la percutent en nous rasant de trop près par l'arrière. Banana ne s'est remplie qu'une fois, dans des conditions de clapot vraiment fort doublé d'une pluie importante. Ici, le risque des Pirogues Rasantes étant nul, on avait laissé Banana à la remorque sur amarre longue. Je m'étais tout de même éveillée fugacement en pleine nuit, entendant le clapot sonner sous notre couchette, en me demandant comment l'annexe vivait ça. J'ai pas vérifié, et je me suis rendormie. Zut.
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L'escale à Punta Del Este a été rock & roll à cause de ça : trois alarmes dans la demi-heure qui a précédé l'entrée même du port. On avait gardé la grand-voile en sécurité, heureusement. Mais l'arrivée ici à San Blas a été encore pire : il a fallu mouiller l'ancre en catastrophe quand l'alarme a sifflé, parce que la grand-voile était déjà affalée, et qu'on était bien trop près du rivage pour re-hisser la voilure. Nuit de veille terrible, vent poussant vers la grève toute proche, trop proche, trop de vent pour tenter l'aventure de remonter l'ancre et repartir à la voile, plus assez confiance dans le moteur. On a prié toute la nuit en se relayant d'heure en heure pour surveiller que l'ancre tenait bien au fond. Vous autres terriens, pendant ce temps, dormiez bien tranquilles dans vos lits qui ne menaçaient pas de se fracasser sur les galets !
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On vous reparlera de cette famille, qui a donné son nom à la lagune et dont le plus jeune fils a été notre souriant pilote pour entrer dans la lagune.