Dans l'un des replis du littoral, entre la plage numéro mille deux cent quatre-vingt-cinq et un peu plus loin, une enseada est réservée, interdite d'accès aux plaisanciers. En passant l'air de rien, on peut tout de même voir de loin et photographier à la façon des paparazzis le superbe palais blanc qui s'y niche. Ou bien plutôt une cathédrale ambivalente, avec son dôme et son minaret érigés à la gloire du Dieu Nucléon. La centrale ne figure pas sur les cartes marines, ni n'est mentionnée dans les guides nautiques et touristiques qui vantent les plages et iles paradisiaques de la Baia de Ilha Grande.
D'autres détails sont également omis par ces ouvrages. Par exemple, le culte qui est rendu ici à la Déesse Nafta, par la présence de l'un des plus importants terminaux pétroliers du Brésil, assorti de la présence constante, en rade d'Ilha Grande, de supertankers au mouillage d'attente ou en cours de chargement / déchargement. Il faut dire qu'au large, à cent cinquante milles du continent, deux jours de mer pour Skol, quelques heures de trajet en bateau de service pour les ouvriers du pétrole, une heure d'hélicoptère pour leurs chefs, s'ouvre un immense champ pétrolifère dont l'exploitation par des plateformes en eaux profondes bat son plein ! Des plateformes de type Deep Water Horizon littéralement en face des plages mythiques de Rio de Janeiro.
Par ailleurs des risques moins élevés en magnitude mais plus présents au quotidien sont visibles dans cette baie aux eaux peu brassées par des marées d'amplitude faible. Ici comme à Rio, les égouts à ciel ouvert de la grande ville d'Angra Dos Reis déversent leur fiel noir luisant directement dans les eaux de la baie, et les déchets plastiques flottants, qu'on croise en permanence lors de nos navigations entre les iles nous font hésiter à ressortir la canne à pêche après une casse de ligne suspecte.
Et pourtant, un quart sud de l'ile d'Ilha Grande et un bout de la péninsule de Paraty sont classées Réserve Naturelle Biologique. Ces zones-ci sont dûment signalées dans les guides touristiques, ainsi que l'interdiction de débarquement sur les plages ainsi protégées. Nous n'avons pas vérifié si les classements sont antérieurs ou postérieurs à la découverte de pétrole au large, ou à la construction de la centrale, mais quoi qu'il en soit, nous nous demandons si la protection d'une si petite portion d'un site complet qui forme un ensemble naturel interdépendant a du sens. En cas de collision entre deux tankers, la réserve naturelle sera bien endommagée. Et les tortues de mer font-elles la différence entre les zones protégées et les autres ? Mais le Brésil est un grand pays, en développement rapide. Même en colonisant tant de terres arables au détriment de l'alimentation, les carburants verts ne suffiront pas à étaler la consommation énergétique d'une classe moyenne de plus en plus nombreuse et avide des plaisirs et conforts modernes, motorisés, réfrigérés, plastifiés, climatisés. Et nous, on fait venir la famille en avion.