Une petite anse nichée au nord de l'Ilha do Cedro, du côté où il n'y a pas de buvette sur la plage. Juste quelques maisons abandonnées, que les pêcheurs artisanaux du coin squattent de temps en temps. Ils disent que cette anse est leur pousada, leur auberge, leur abri. Ils viennent là en fin d'après-midi, se reposer un peu avant la pêche de nuit. Ils viennent ici parce que la mer est particulièrement tranquille, à peine affectée par un écho de houle qui vient du large, contourne les iles en s'amenuisant et termine, en doux bercement propice au repos. Ils arrivent, seuls ou à deux sur leurs bateaux aux bras latéraux typiques de la pêche à la crevette, comme des hannetons des mers. Ils jettent l'ancre tout près les uns des autres, pour pouvoir causer pendant qu'ils nettoient et apprêtent leurs filets. Ou bien l'un s'amarre au cul de l'autre, quand ils veulent partager un café ou une discussion plus complexe. Certains ont ainsi bavardé pendant des heures, discussion si animée qu'on s'est amusé à la prendre pour une réunion du syndicat des pêcheurs de crevette! Peut-être parlaient-ils de la situation sociale actuelle du Brésil et des manifestations de protestation qui ont lieu actuellement dans les grandes villes. Puis tout se calme, ils s'endorment pour quelques heures, un petit lumignon signalant leur présence aux retardataires qui arriveraient plus tard, ou aux autres usagers de l'anse, les rares plaisanciers qui comme nous ne se replient pas le soir dans une marina. Au cœur de la nuit, ils se disperseront comme un vol de moineaux dans la baie d'en face. On n'est pas loin de la centrale nucléaire, ni du terminal pétrolier, mais c'est ici que les crevettes vivent et donc ici qu'elles sont pêchées, à quelques centaines de mètres de notre mouillage.
Le truc que nous avons compris depuis notre arrivée dans ces eaux, c'est que dans cette région comme au Sénégal, puisqu'elle est sauvage et non d'élevage, la crevette n'est pas certaine. Un jour y'en a, un jour y'en a pas. Même quand le pêcheur ou sa famille vous dit « si, si ! camarãos, amanha ! », rien n'est moins certain. En conséquence, quand on en croise quelque part, il faut sauter sur l'occasion. D'un coup d'aviron, Ariel accoste l'un d'entre eux et engage la conversation sur un mode « on vient de France, on a fait de la route, traversé des tempêtes et on adore les crevettes, est-ce que vous en avez ? ». Quand les gars en ont, ils l'invitent à bord, et lui ouvrent la trappe de la soute à glace « t'en veux combien ? des grandes ou des petites ? ». Pendant la sélection et le pesage, Ariel continue la conversation, évoquant les crevettes africaines, nos joies de la pêche à nous : « ma femme pêche le thon et le marlin et moi les crabes ! », les dangers de la tempête en mer, mais aussi leur vie à eux, la difficulté à travailler toute la nuit : « vous tenez le coup comment ? ». Une substance connue en Bretagne pour être la béquille des pêcheurs de nuit est mentionnée avec un clin d'œil malicieux, le mec éclate de rire, et ils se tapent dans la main comme des potes. Cette complicité entraine souvent un ajout de crevettes dans le sac après la pesée ou bien un complément sous forme de poissons, gratuits. S'ensuivront vingt-quatre heures d'orgie de crevettes, puisque nous n'avons pas de frigo pour conserver les bêtes plus longtemps. L'achat au cul du bateau nous enchante au plus haut point. Outre la fraicheur extrême des produits que nous apprécions infiniment, on a la joie de financer ainsi directement le pêcheur et pas les intermédiaires.
Pendant ce temps, les casiers d'Ariel sont également en action. Il espérait attraper enfin ses premières crevettes, (radioactives donc !) puisque nous sommes en bordure de la zone de pêche, mais il ne récoltera finalement que vingt-trois crabes de taille sympathique et au gout très fin. Tout ça en quatre coups de casier, de jour, de nuit. A la première prise, on a consulté les pêcheurs, ils ont confirmé que c'était comestible et d'une taille respectable pour l'espèce. On ne sait jamais, avec les effets des irradiations, Ariel rêvait de bestioles plus colossale. Là aussi, le circuit de la mer à l'assiette est taillé au plus court : quelques dizaines de mètres, pas plus de dix minutes entre l'eau de mer et l'eau bouillante.
Bref. Notre pause-nature à l'Ilha do Cedro fut un séjour gastronomique exceptionnel, les crevettes et le crabe nous sortent par les oreilles, la mayonnaise a coulé à flot dans les énormes avocats brésiliens farcis et le risotto était une merveille.
ah la la cette peur de la radioactivité ce n'est pas bien raisonnable. Vous m'avez côtoyé assez longtemps en mer et sur terre pour savoir que la radioactivité n'a que des effets bénéfiques (je vous ai servi d'éclairage la nuit, les rayonnements que j’émets permettent de nous localiser en cas de pépin d'un coup de spectromètre gamma et surtout, j'ai une morphologie globalement acceptable : Ariel commence pas à parler de mon appendice STP). Sinon, j'aurai bien aimé avoir une échelle sur la photo des crabes, vous connaissez les pêcheurs, ça a quand mêle un peu tendance à naturellement surdimensionner les choses hein...
Plein de belles choses à vous.
Michel
Rédigé par : Mitch | 05 septembre 2015 à 13:33
Holà Skol,
Je vous ai envoyé deux mails pour vous donner les coordonnées d'amis qui vont venir dans vos eaux. Votre silence me fait me demander si mes mails n'ont pas subit la censure de votre Junkbox ou autre défaut d’aiguillage.
J'espère qu'ils vous parviendront.
Des bises de Loick.
Rédigé par : hughes | 05 septembre 2015 à 14:19
@ Mitch : finement observé ! nous avons évité l'échelle pour te faire saliver un peu....
@ Hugues : magie de la "publication différée" des notes du blog; quand on navigue, nos lecteurs ont encore quelque chose à se mettre sous la dent. Mais du coup, ils croient qu'on est à terre. Bien reçu ton mail sur les amis du sud, trop tard, donc, car nous avons quitté Ilha Grande.
Rédigé par : Isabelle | 10 septembre 2015 à 17:39