Jusqu’à cet été, notre moteur n’avait pas de prénom, il s’appelait moteur comme dans « on démarre le moteur et on branche Barbapapa », ou bien « on arrête le moteur et on règle Barkaï ». Notez la minuscule à moteur. Mais cet été, notre Moteur a gagné un prénom tant il a été présent et serviable. A cause des grandes distances à parcourir dans un temps limité, à cause d’une météo instable et de longues journées sans vent. Nous avons souvent mis le moteur en route pour parcourir de la distance lorsque le vent ne coopérait pas. Ainsi donc, à la faveur une poussée de navigation vers le Nord, Skol s’est un peu transformé en ferry-boat, à l’insu de son plein gré, ce qui est un comble pour un bateau en aluminium. Dans cette transformation, l’entretien de Yann est passé de la catégorie « corvée nécessaire » à la catégorie « petits soins à un équipement précieux ».
Nous avons l’impression de trahir un peu le vrai marin en nous, celui qui est sensé, selon mes enseignements paternels, ne recourir au moteur qu’en cas d’extrême nécessité. Mais papa n’a jamais navigué sous de telles latitudes, alors je me découvre un autre style de marin, qui comporte ses ambivalences propres.
Car le fait de naviguer en usant amplement du moteur nous ramène à une logique de terriens, une logique selon laquelle on peut obtenir ce qu’on désire, on peut décider comment les choses vont se passer.
Le terrien programme ses déplacements à horaire calculé, s’abrite des intempéries quand il le désire et a donc l’impression de « contrôler » la situation.
Le marin doit rester prêt à ce que les choses ne se passent pas comme il l’a prévu et prêt à ce que le confort se dégrade sérieusement sans qu’il puisse y remédier. Les vagues chaotiques qui naissent sur le Dogger Bank balayé par un vent violent se cesseront pas, quels que soient nos désirs et décisions. Les choix qui s’offrent à nous sont maigres, entre ralentir le bateau en sacrifiant la moyenne et continuer la navigation en subissant les mouvements désordonnés du bateau, qui ressemblent à un programme d’entraînement au vol spatial.
Yann ne nous a fait défaut qu’une fois, à l’arrivée en France, lorsque, à force d’usage intensif pour arriver avant le coup de vent annoncé depuis plusieurs jours, la consommation horaire ayant augmenté significativement en poussant le régime, nous sommes tombés en panne de carburant un demi mille avant l’arrivée. Merci au capitaine du port de Dunkerque qui a reçu notre appel, merci au Sémaphore qui a identifié un pêcheur à l’approche et merci à l’équipage du Sébastien II qui s’est détourné avec le sourire pour nous remorquer jusqu’au ponton.
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