Talonnés par le calendrier des visas de tourisme et la limite de nos réserves de gaz, nous abordons néanmoins ce Golfe des Peines avec prudence. Cinq jours d'attente, pour que les vents forts aient fini de transformer le golfe en chaudron agité dans tous les sens. La mer était encore si complexe que Barkaï avait un mal fou à tailler une route droite et qu'il a fallu barrer à la main pendant des heures interminables, mais ça ne nous a pas pesé. Retour à la « haute mer », aux horizons lointains, à des sensations que nous adorons et dont nous étions frustrés depuis si longtemps. Progressivement, en sortant du golfe lui-même, en nous dégageant du croisement chaotique des 'échos de vagues (qui reviennent après avoir frappé les rives du golfe), nous découvrons la respiration colossale de la grande houle du pacifique, de plus en plus régulière. Cinq mètres de creux, mais d'une amplitude telle qu'on n'est plus secoués comme avant. On surfe légèrement à chaque fois qu'une crête soulève le cul de Skol. Et puis, en fin de journée, le vent se meurt. Nous n'avons pas trouvé le vent du sud promis, qui devait nous emporter bien vite au large. Il faut se replier vers un abri. Yann nous amène aux environs de la Caleta Soarez au milieu de la nuit. Approche fantomatique sous les reflets de lune, encadrés par les brisants de cette houle fantastique sur la côte hérissée de rochers ; ça souffle, ça gronde et ça jaillit d'écume blanche de partout, mais l'entrée de l'Estero Cono est assez large. On ose, on entre presqu'à tâtons à cause d'un nuage qui voile la lune juste à ce moment-là, on jette l'ancre sans approcher trop du rivage. Il faudra nous déplacer demain pour attacher des amarres aux arbres avant le coup de vent d'après-demain, grosse tempête de solstice. Laquelle nous bloquera de nouveau cinq jours. Mais ça y est, on a quitté les canaux, on a passé l'épreuve des peines, il reste devant nous quatre à six jours (1) de haute mer jusqu'à Chiloe, dix jours avant l'expiration de nos visas et quinze jours de gaz de cuisine. La navigation en Patagonie est un perpétuel exercice d'arithmétique.
1 - On devrait plutôt compter en nuits, étant donné qu'à cette saison et à cette latitude, les nuits sont nettement plus longues que les jours.
Les longues nuits... c'est la réflexion que je me faisais dernièrement en pensant à vous ! Bravo pour ce passage délicat ! Chiloé, c'est un autre monde, plus doux, plus humain. J'espère que vous ne serez pas déçus après votre longue pérégrination dans les canaux.
Rédigé par : Flora | 22 juillet 2016 à 13:26
encore merci de prendre le temps de partager vos "aventures" et émotions.
Rédigé par : Cécile et Yves sur la Curieuse | 22 juillet 2016 à 18:34
@ Flora : Chiloé plus doux, plus peuplé et plus pollué ! (jamais contents ces deux-là ;-))
@ Cécile et Yves : dites moi un peu ... ça veut dire quoi les guillemets à "aventures" , pas assez aventuresque pour vous ? On vous attend de pied ferme, puisque vous avez fait le quart du chemin, déjà!
Rédigé par : Isabelle | 24 juillet 2016 à 17:58