On se croit parfois à l'abri des mésaventures des autres. Mais non. Un matin, au réveil, l'œil qui vérifie machinalement par le hublot tombe sur de l'eau là où devrait se trouver le plastique blanc de Banana amarrée au flanc de Skol la veille au soir. Trois amarres tranchées pendant la nuit et tout à coup la vie change. Coup de tonnerre dans les perspectives pour les mois à venir (1). On réécrit fébrilement l'histoire des dernières vingt-quatre heures, et si, et si … ? On s'épouvante des navigations à venir, comment va-t'on faire sans elle ? On se sent orphelins d'une véritable équipière loyale, une compagne d'escale. On résiste à la tentation qui s'ouvre là de rejoindre le concert des plaintes des nantis contre la petite délinquance, mais tout de même on n'a pas envie de lâcher le morceau, comme ça. Rendez-nous bananaaaaaaa ! Alors on s'accroche, pendant une dizaine de jours (2), à un espoir fou, la retrouver à force de placarder des avis de recherche avec récompense, passer des annonces à la radio locale, suivre les sites de revente d'occasion et battre les rives de l'estéro par mer et par terre. Dans ces démarches, on se fait aider tantôt par des amis de Chiloé, ravis de nous revoir, tantôt par les autorités (3), lesquelles sont alertées par la répétition de vols dans l'Estéro Paildad et pas fâchées que pour une fois les victimes ne filent pas vers d'autres rivages le lendemain du dépôt de plainte.
Mais rien n'y fait, notre merveilleuse annexe reste introuvable, le Chilien qui s'est épris d'elle la cache bien, pour le moment, s'il a réussi à la plier dans la casser, ce qui est loin d'être garanti. Pendant les recherches, passe la date de mon anniversaire, dont la table se garnit de cadeaux de pêcheurs : oursins à volonté et moules à gogo. En parallèle aux recherches, puisque nous comprenons que seules une chance folle ou une très longue patience nous rendront l'originale, et que l'importation d'une de ses sœurs n'est probablement pas une option viable, je propose à mon homme un projet encore plus fou : et si on essayait d'en construire une ? Tout, plutôt que revenir au gonflable. Nous ne voulons pas d'une annexe qui pourrait se perforer sur les rivages agressifs ou éclater au soleil des tropiques. Nous ne voulons pas renoncer au montage en cinq minutes ni au rangement à plat-pont en une minute. Non ! Non ! Alors je convoque toutes les images et tous les souvenirs que nous avons d'elle pour tenter de reconstituer la magie de ses formes et les nombreux petits détails susceptibles de devenir des difficultés dans un tel projet.
Pour l'heure, sans savoir si ou comment nous la retrouverons ou la remplacerons, nous tenons à lui rendre hommage en image (Album photo: Adieu Banana). Même à Skol elle va manquer.
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Le vol a eu lieu le 20 mai. Le rythme lent des publications du blog depuis cette date, qui marquait notre retour à la civilisation, en est une des conséquences. Une autre a été l'augmentation de notre dépassement de visa, qui a elle-même eu des conséquences.
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L'équipe de l'Armada du port de Queilen nous a trouvé pendant la première semaine de recherches toutes sortes d'embarcations pour nous permettre d'aller à terre ou de retourner à bord. Ensuite, nous avons rejoint Castro où un arrangement antérieur permettait d'espérer un amarrage à ponton flottant.
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L'Armada a même fait une recherche par drône, c'est dire. Au bout d'un moment j'ai commencé à me sentir gènée par les moyens mis en œuvre. Les forces de Police du Chili ont d'autres priorités, n'est-ce pas ?