Notre histoire commençait il y a dix ans avec une « Demande En Voyage » et l'achat de Skol. Nous évoquions un voyage d'une durée de trois à trente ans. Sept ans de préparation et trois ans de voyage plus tard, nous voilà à un point particulier. On s'arrête ? On continue ? On rentre ? Non, ça serait vous induire en erreur de dire que la question se pose ainsi. D'abord, récapitulons. Les trois ans de voyage se sont décomposés en deux ans de « programme » - un Premier Voyage de la Bretagne à Chiloé, en passant par le Sénégal et quatre pays d'Amérique Latine, tout le temps un peu trop vite - puis six mois de pause à Chiloé - pendant lesquels nous nous sommes ressourcés de différentes manières - puis une sorte de Second Voyage d'un peu moins de six mois, un petit aller et retour lent et tranquille dans les canaux patagons entre Chiloé et Puerto Eden. Là nous avons, enfin, eu l'impression de trouver notre rythme, nos modalités. Il nous fallait tout ce temps pour passer de la vie de voyage idéalisée à la vie de voyage réelle, semble-t-il.
Le Grand Sud mythique n'est désormais plus tout à fait un inconnu pour nous et nous avons parfois fugacement le sentiment que cet accomplissement nous laisse vide de projet. Que pourrons-nous vivre encore d'aussi grandiose ? Mais il y a encore des rêves, même maintenant que nous connaissons le prix à payer en inconfort, en mauvaises nuits, en huis-clos prolongés, en travaux techniques et en amitiés si difficiles à construire. Ni vacances, ni tourisme, contrairement à ce que croient la plupart des gens que nous croisons et encore bon nombre de nos amis européens. Le rêve antérieur du Cap Horn est toujours là, surtout pour Ariel. Le rêve éternel de l'harmonie à bord est toujours là, surtout pour moi. Ariel phantasme encore sur l'Alaska et la Tasmanie. C'est loin, nous nous en rendons mieux compte maintenant. J'aspire à pousser plus loin la mise en accord de ma vie avec la nature. Ce n'est pas gagné non plus, lorsque l'éloignement pousse à alourdir son bilan carbone pour voir la famille. Un rêve partagé a ainsi pris forme : continuer de voyager à la recherche de paysages magnifiques et de rencontres magiques, tout en saisissant en chemin des opportunités d'apprendre le travail de la terre (1). Pour savoir si ça nous conviendrait de prendre sol quelque part et faire pousser de la nourriture, plus tard. Par ailleurs, ma soif personnelle d'activité intellectuelle - indispensable à mon équilibre - que ce blog de voyage ne suffisait pas à combler (2) a trouvé depuis quelques mois son terrain d'expression. Un nouveau petit blog intimiste sur le thème de la transition, des transitions, écologiques, énergétiques, économiques, de mode de vie a vu le jour, ici. Nous sommes nous-mêmes en transition, et pas seulement en voyage.
De fait, la notion de saison a changé pour nous. Il a fallu dix-huit mois de vie sur le versant ouest des Andes pour cesser de pester contre le ciel et découvrir toute la grandeur d'une demi-journée de soleil. Notre dépendance et soumission au climat n'ont fait qu'amplifier. Rien de ce que nous faisons n'échappe à la contrainte du temps qu'il fait, c'est le ciel qui décide de notre agenda, nous ne maitrisons que la direction générale. Nous recommençons parfois fugacement à songer aux temps futurs où il ne sera plus nécessaire de se déguiser en scaphandrier pour sortir sur le pont, mais le Cap Horn reste à l'ordre du jour si les conditions météo nous permettent de le contourner avec un peu de panache et suffisamment de sécurité.
Chiloé est la région d'où les navigateurs européens s'élancent pour la plupart vers les tropiques pacifiques. Puisqu'on a fait tout ce chemin, pourquoi ne pas continuer, nous aussi ? L'enjeu de ce choix ne nous échappe pas. Nous sommes bien conscients que l'horloge biologique tourne et que nos forces déclineront inéluctablement. Pas facile de vivre à cinquante ans dans un si petit espace ; qu'en sera-t-il à soixante ? Qui sait si nous aurons la possibilité, l'envie, la santé pour revenir et pousser notre étrave dans le plus grand des océans ?
Oui, notre choix est fait : dans quelques semaines, nous larguerons les amarres de Chiloé pour un Troisième Voyage, qui devrait normalement nous rapprocher de l'Europe. Nous allons savourer encore quelques mois cette merveilleuse Patagonie Chilienne, une des dernières régions du monde où l'on peut encore « se perdre » et puis nous naviguerons en Atlantique. Nous repasserons voir les amis avec lesquels nous sommes restés en contact, le long de la côte argentine et uruguayenne et poursuivrons ensuite la route vers le nord. Combien de temps nous faudra-t'il pour atteindre les eaux européennes ? Nous l'ignorons. Il n'y a pas d'urgence, mais tout de même l'envie de nous rapprocher pour un temps des aimés, mes enfants, la maman d'Ariel, nos sœurs, les amis. Faire la fête avec tout le monde ! Ca ne sera pas tout à fait un « retour » pour autant, car nous ne reviendrons pas à la vie d'avant ... ¡Ojalà! (3)
- Deux sachets d'Ail Géant de Chiloé sont actuellement en route vers la France et les Açores où des amies vont tenter de les cultiver en attendant notre retour.
- Nous fêtons également cette année les dix ans du Blog SKOL et 432 notes publiées.
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L'équation économique continue de bien se résoudre, avec un train de vie un peu chiche, très peu de casse coûteuse sur Skol et un bel état d'esprit qui perdure en France, dans la maison, même avec la rotation des colocataires. Une relation de confiance, des loyers vraiment bas contre une participation active, beaucoup de souplesse et d'intelligence. Nous sommes donc encore à l'abri des soucis de caisse de bord que certains voyageurs au long cours connaissent, même si nous ne disposons pas de l'aisance des nombreux « jeunes retraités européens » que nous voyons circuler également.