La question rôde à bord depuis que nous sommes passés dans les eaux norvégiennes. Nous avons commencé à nous poser des questions lorsque les petites contrariétés inévitables et supportables ont commencé à se multiplier. Chez nous en france, on puise dans la mythologie pour trouver les responsables de nos petits et grands malheurs. On accuse les farfadets, les mauvais génies. On parle de série noire, de scoumoune. Ces supersitions sont une manière d'attribuer à la nature une intention à notre égard, alors qu'en fait, elle s'en fout: comme dit la chanson "the human name does't mean shit to a tree" *.
En Norvège le mot Troll apparait plus souvent qu'on l'imaginait. Ici les Trolls sont omniprésents. On les trouve dans les enseignes de restaurant, les jouets d'enfants, comme nom de bateau et même de plateforme pétrolière, plusieurs lieux: fjord, lac, passage et rivière, portent ce nom. Ces petits êtres mythologiques sont vite devenus des coupables potentiels et nous leur avons collé la responsabilité de pas mal de choses.
Lorsque le vent baisse alors qu’on vient juste de prendre un ris, on accuse les Trolls. Quand au contraire, le vent monte cinq minutes après qu’on en ait agrandit la voilure, on incrimine le Troll du bord.
Par temps légèrement agité mais néanmoins ensoleillé, on aime passer du temps dans le cockpit au soleil, quitte à prendre une brumisation salée de temps en temps. Les trolls interviennent, selon Ariel, dans la mécanique suivante : on aime attendre que son pantalon de ciré ou sa veste sèche avant de rentrer dans l'habitacle, donc on attend un peu et, au moment où c'est sec, juste au moment où on se dit que c'est le bon moment pour rentrer, paf! ... Les trolls font claquer une vague bien mouillante ! Ils le font exprès.
Ils ont plusieurs fois déclenché une averse juste au moment où nous sortions du bateau pour aller faire un Tai-Chi-Chuan ou une promenade à terre. Ils sont capables de dévoiler les seules 15 minutes de soleil fugace depuis trois longs jours, exactement au moment ou nous sommes coincés devant
l’ordinateur, enfin branchés sur un wi-fi pour prendre les fichiers météo avant la fermeture du petit troquet du village.
Il sont fait des choses plus graves encore: Renverser la marée une
heure avant qu'on passe la pointe, ce qui transforme la dernière heure
en quatre ou cinq heure de plus pour arriver à destination. Et ils ont poussé l'acharnement jusqu'à passer le mot aux farfadets français pour que la série de vents contraires destinée à nous empècher de quitter la Norvège se poursuivre le long de la manche pour nous empècher de rentrer à Lorient.
Ce florilège n'est qu'une modeste partie de l'interminable liste de pépins qu'ils nous ont collés. A tel
point que maintenant, lorsque nous planifions quelque chose pour plus tard ou
pour le lendemain, nous précisons : si les Trolls veulent bien !
* Esquimo blue days du groupe Jefferson Airplane. Chanté par Grace Slick : .... consider how small you are / compared to your scream / the human dream / doesn't mean shit to a tree