Le winch, cabestan moderne au nom anglicisé pour la plaisance, est une petite merveille de technologie dont tant de choses dépendent à bord... En démultipliant la force humaine, il permet de produire plusieurs tonnes de force, pour tendre, tirer, soulever. On peut certes hisser les voiles à la main, mais ensuite il faut les tendre vers le haut à l’aide d’un petit winch. Le génois de 35 mètres carrés nous arracherait le bras si nous tentions de le gonfler de vent sans l’aide d’un de nos gros winches à deux vitesses. Les winches permettent de produire de la force mécanique à chaque fois que nécessaire, pour remonter à bord une ancre récalcitrante, par exemple. L’électricien du bord qui veut monter en haut du mat avec ses outils pour comprendre la panne du feu blanc se sens plus en sécurité si on le hisse dans sa chaise en toile, suspendu à une drisse frappée sur un winch. Celui de nous deux qui ne subira pas le vertige des 15 mètres d’altitude fait travailler ses biceps. Vous reconnaîtrez facilement, dans les équipages de grande courses à la voile, les équipiers embraqueurs, ceux qui sont chargés d’actionner les winches à toute vitesse et à pleine puissance : ce sont les types les plus musclés de la bande.
Musique
On entend les winches cliqueter à chaque manœuvre. Un long zzzzzziiiiiiiiii lorsque le cordage est tiré à la main à grandes brassées, tant que l’effort le permet, puis un clicliclicliclicli continu lorsque l’effort à produire dépasse la force des bras nus et nécessite l’usage de la manivelle. Enfin le son produit devient un clic – clic – clic – clic de plus en plus lent à mesure que l’effort augmente, que la vitesse ralentit, que la manivelle est tournée dans l’autre sens pour enclencher la seconde vitesse, à démultiplication maximale, pour déployer les très gros efforts ou procéder aux réglages fin. Ces cliquetis rythment presque musicalement chaque virement de bord, lorsqu’on progresse contre le vent en zigzag et qu’il faut régulièrement changer la voile de coté. Zzzzzziiiii, cliclicliclicli, clic-clic-clic--clic--cli---clic---clic. Concerto pour deux winches.
Mécanique
Le son du winch est produit par les deux ou trois butées métalliques qui assurent la fonction anti-retour, poussées dans les creux des dentures de la couronne par des petits ressorts en « V ». Les buttées sautent d’un creux à l’autre lorsque le winch est actionné et garantissent qu’on ne perdra aucun des centimètres durement gagnés en poussant ou tirant de toutes nos forces sur la manivelle. C’est au son du cliquetis qu’on tente d’évaluer la nécessité de démonter et nettoyer nos winches. Faute de cette attention, la graisse vieillie pourrait durcir et devenir collante au point de gêner l’action des petits ressorts. C’est ce qui nous est arrivé un été. Un winch privé de l’action des ressorts sur les cliquets, c’est un winch qui repart en arrière à toute volée lorsqu’on relâche l’effort et qui propulse la manivelle en rotation, frappant au passage le poignet qui se trouve là. Un blessé à bord et un bateau qui commence à devenir dangereux, car on ne peut pas naviguer par gros temps sans un bon gros winch en état de marche sur chaque bord. A l’escale suivante, l’opération de maintenance sera obligatoire. Chaque roue dentée sera soigneusement démontée, nettoyée au gas-oil, brossée méticuleusement dans tous ses creux et ses bosses, puis remontée en place revêtue d’une fine pellicule de graisse neuve. Ni trop, ni trop peu. Il y a quelques moments angoissant lors du démontage d’un winch, surtout un winch ancien, car ces engins sont pratiquement increvables et durent de nos jours plus longtemps que leurs fabricants, ce qui rend la recherche de pièces de rechange difficile. Petite tension au moment du démontage et du remontage, attention à ne rien perdre, surtout les petits ressorts qui sauteraient volontiers à l’eau. Et petite angoisse lorsque le puzzle des diverses roues dentées, rondelles, bagues et roulements se trouve étalé devant les yeux : bon sang, est-ce que j’arriverai à tout remonter à sa place ?
Servitudes
L’entretien des 6 winches du bord fait partie de la longue liste des servitudes incontournables du voilier. Les voiles doivent être examinées et recousues si nécessaire, les cordages inspectés et remplacés lorsque leur usure se prononce. Les œuvres vives, les parties du bateau qui sont en permanence dans l’eau, doivent elles aussi faire l’objet de nettoyages réguliers, occasion de les ausculter avec soin, à la recherche de toute trace de choc ou d’électrolyse. Le moteur nécessite vidanges et changements de pièces d’usure comme celui de votre voiture, avec cependant une accessibilité très diminuée. Prix à payer pour le rêve de voyage et la réalité du voyage. Prix que j’ai toujours connu, par programmation génétique, car j’ai grandit dans un milieu de propriétaires de voilier, qui parlaient constamment de l’objet de leur passion et du temps qu’il fallait consacrer au bateau pour le maintenir en état de naviguer. Prix qu’Ariel n’a découvert qu’une fois propriétaire de Skol, avec une certaine surprise, lui qui n’avait navigué que sur les bateaux des autres ou de location, sur lesquels on monte avec son sac de marin pour larguer les amarres dans l’heure qui suit, et qu’on quitte au retour de croisière en laissant le propriétaire s’occuper du reste ou payer pour qu’un tiers s’en occupe. Prix qu’il a mis quelques temps à accepter « y’en a marre des listes de choses à faire, je voudrais profiter de mon bateau ! ». Aujourd’hui, alors que nombreux sont ceux qui doutent qu’un bateau puisse fonctionner avec deux skipper à bord, nous apprécions tout particulièrement, dans notre façon d’être copropriétaires de Skol, le fait d’être deux pleinement responsables et que ni l’un ni l’autre ne se défile face aux servitudes, ce qui permet d’en partager réellement la charge avec bonne humeur. Plus ou moins avec bonne humeur, pour ceux qui nous connaissent.
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