Avez vous déjà vécu une voie d'eau à bord ? Cette question s'adresse aux navigants, bien sûr. Je pense qu'il existe une différence marquée entre ceux qui l'ont vécu et ce qui ne l'ont pas (encore) vécu.
Avant la toute première fois, la voie d'eau à bord est un cauchemar fantasmé. On prie les forces de la nature de ne jamais nous y confronter, on a du mal à imaginer comment ça se passera, comment on réagira, entre la panique et le sang-froid.
Pendant la toute première fois, dans les premières minutes, c'est pire, bien pire, que tout ce qu'on a imaginé avant (même en eaux calmes et avec le zodiac de la capitainerie à couple, ce qui était notre cas), parce que c'est pour de vrai. On se voit entrer dans le cauchemar et on en visualise concrètement la fin possible, la perte du bateau, le naufrage complet.
Mais ce "pire" ne dure que le temps d'évaluer la situation. Très rapidement, l'action prend le dessus. Voici comment ça s'est passé pour nous : Ariel découvre l'eau qui monte a vive allure dans les fonds, débordant du compartiment moteur. Il hurle pour m'avertir, et puis il trouve le manche de la pompe et s'active à évacuer l'eau. Dans l'action, il retrouve son calme. Moi, je me précipite derrière le moteur, parce que j'ai un gros soupçon bien ciblé sur ce qui nous arrive là. Sans prendre le temps de regarder, je pose la main sur l'arbre moteur, juste à sa sortie entre le moteur et le trou dans la coque et ... plus d'arbre. Nous avons perdu l'arbre. Panique. La pire conséquence fantasmée de ce damné chantier est devenue réalité ! Je hurle. L'eau entre à flots par ce trou de 25mm de diamètre, gros comme un gros tuyau. Mais très vite je note que le flot n'est pas violent, qu'il me suffit de plaquer ma main sur le presse-étoupe pour en ralentir considérablement le débit. Ouf. Une voie d'eau à 20cm sous la surface, ce n'est pas comme un tuyau d'eau sous pression qui lâche, il n'y a presque pas de pression. Je hurle tout de même, je réclame les pinoches sans arriver à les nommer: les trucs ! les machins ! les cônes en bois ! Ariel lache la pompe et les trouve, mais la pinoche de la bonne taille pour boucher le trou ne peut pas être mise en place, pas la place de la présenter en face du presse-étoupe pour l'enfoncer. Je réclame un sac plastique, et je commence à bourrer le trou avec le sac. Temps d'observation à deux. Ariel pompe pendant que j'entrave l'entrée d'eau d'une main, et nous guettons ensemble le niveau de l'eau ... qui baisse. OK, le pompage compense. On est chacun à son poste: un à la pompe l'autre une main sur le bouchon de sac plastique qui ne tient pas tout seul. Il y a peu de pression mais assez pour chasser mon bouchon si je ne le tiens pas fermement.
Réalisant qu'on ne va pas pouvoir en rester là éternellement, je m'agite de nouveau. Commence alors une cogitation intense et des échanges rapides. Avec une telle voie d'eau, il est indispensable de sortir le bateau au sec, il faut nous diriger vers une cale d'échouage. Et puis ce bruit de métal qui tape, on dirait que l'arbre est toujours là et l'hélice aussi et qu'elle cogne quelque part. Sur l'aileron, peut-être? Il faut ralentir le remorquage. Ariel communique rapidement avec Eric, l'homme de la capitainerie, qui est dehors, aux commande du zodiac qui nous remorque. Ralentir pour préserver l'hélice, et faire demi-tour vers une cale d'échouage.
10 minutes plus tard, toujours derrière mon moteur à bloquer le bouchon de plastique, j'entends à l'extérieur les hommes qui s'affairent à surveiller la profondeur et installer le bateau le long du quai. Par chance, il reste juste assez de marée haute pour nous installer au dessus de la grille d'échouage, et très rapidement, nous serons posés sur le fond.
Après une heure de marée descendante, un examen rapide premet de confirmer que ni l'arbre ni l'hélice ne sont endommagés, qu'ils ont reculé de 20cm seulement, puis ont été arrètés dans ce recul par l'anode olive serrée sur l'arbre, qui a fait fonction de buttée, et que ce recul de 20cm a simplement suffit à dégager le bout de l'arbre, de son presse-étoupe, juste assez pour transformer le "trou dans la coque prévu pour passer l'arbre" en "trou dans la coque laissant entrer l'eau".
La remise en place se fera dans le calme, très méthodiquement, avec une aide extérieure vigilante à nos gestes. Sur les assemblages vibrants, il ne suffit pas de serrer l'écrou à mort, il faut en plus freiner le dernier serrage, avec du frein liquide ou avec un frein mécanique. Faute d'avoir mis en oeuvre cette règle d'or que pourtant j'étais censée connaitre, j'ai failli couler le bateau (à mon tour).
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