Depuis qu’il sait qu’en tant que propriétaires d’un voilier, nous avons le droit de transporter deux casiers de pêche sans être considérés comme des braconniers, Ariel est tenté d’embarquer un casier à homard sur Skol. Les mets de luxe ne sont pas sa tasse de thé, mais la perspective de prélever dans la nature de quoi se régaler le chatouille. Qu’aurai-je à redire à cela, moi qui aime tant prélever dans la nature de quoi faire mes propres conserves ? Ce qui a freiné le passage à l’acte jusqu’à maintenant, c’est la taille habituelle des casiers de pêche (60 cm de long, 40 de large et de hauteur, parfois plus) et le manque de place dans notre espace compté.
Ariel, très persistant, a poursuivi son enquête de saison en saison, à la recherche de solutions. Il a ainsi découvert que ce n’est pas la taille du casier qui compte le plus, mais la taille de la goulotte. Trop petite elle ne s’adresse qu'aux crabes, trop grande elle laisse passer les araignées et leurs grandes pattes. Cet été, il a en outre repéré un casier sur un Jurançon, ce qui, avec le rappel incessant des festins que nous pourrions nous accorder, a fini de saper mes résistances. La lecture de forums et les échanges avec quelques pêcheurs ont progressivement changé à mes yeux ce que je qualifiais secrètement de caprice irréaliste en une décision d’équipement pratique : dimension, forme, achat neuf ou d’occasion, rangement à bord ?
Le soir même de l’achat d'un petit casier d'occasion, un ami sincère et bienveillant a tenté deux jets de douche froide sur notre enthousiasme à la veau, vache, cochon : le premier au sujet des prises « vous verrez bien ce que vous prendrez, ça sera pas forcément du homard » et le second au sujet des nuisances olfactives, « faites gaffe, ça pue », doublé d’une moue et d’un pincement du nez qui auraient dû nous mettre clairement la puce à l’oreille, si j’ose dire. Evidemment il avait raison.
Nous partîmes néanmoins à la chasse au homard pleins d’espoir et richement dotés d’un Lieu de 400g pêché la veille, car les homards sont les fossoyeurs des fonds, les entrailles pourries sont leurs délicatesses. L’éventration du poisson avarié au soir de notre première tentative annonçait déjà l’ampleur des nuisances olfactives à venir, une paire de gants s’avère indispensable pour manipuler cette puanteur et nous avons hâte de mettre à l’eau l’engin explosif. Jamais nous ne relevâmes le casier complètement vide, mais le produit de la pêche ne fut jamais composé de la moindre bête à la carapace noire et aux grosses pinces. La première prise se composa d’une fournée d’étoiles de mer, magnifiques mais immangeables, la seconde d’une cargaison de crabes verts que nous dédaignâmes (comestibles mais peu attirant pour nos papilles désireuses de chair plus raffinées), et ainsi de suite.
Nous prîmes tout de même l’habitude de réserver dans une boite en plastique hermétique les morceaux de poisson, de jambon périmé, et autres déchets destinés à devenir la prochaine « boëtte », car c’est ainsi que les pêcheurs bretons nous avaient appris à nommer l’appât. Nous gardions à bord une « boite à boëtte » et riions des sonorités de cette conjugaison : je boëtte, tu boëttes, nous boëttons. Et nous étions émus et excités comme des enfants le soir, lorsque nous laissions glisser le casier jusqu’au fond de l’eau, sous le bateau, et le matin, lorsque, le temps de tirer sur le cordage, il restait un espoir de pèche miraculeuse.
Jusqu’à notre nuit dans la petite rade de Sauzon, au nord de Belle-Ile, où la levée du matin a d’abord révélé un casier vide pour la première fois, puis nous avons décelé un mouvement et compris qu’un crabe se tapissait dans un coin, lequel crabe nous nous résigniions déjà à qualifier de vert, mais à y regarder de plus près, la couleur tirant sur le violet par endroit, la carapace aux piquants dressés et surtout les pattes arrières en forme de nageoire nous redonnèrent le sourire : il s’agissait bien d’une étrille, crabe nettement plus goûteux et fin que le crabe vert !
Ce jour-là, Ariel a méticuleusement compulsé ses 1001 recettes, à la recherche des assaisonnement les plus adaptés, et j’ai passé de longues minutes à récupérer chaque miette de sa chair après une cuisson rapide. Il restait du beurredans nos fonds, après mes expériences de pâtisserie d’anniversaire, ce qui permit la confection d’une dé-li-cieu-se portion de rillettes d’étrille, dont nous garderons longuement un souvenir ému.
Le ridicule de cette étrille solitaire, (d’autant que nous étions 4 à bord), ne nous rattrapera que dans quelques années, lorsque nous aurons construit un solide tableau de chasse aux crustacés. En attendant, nous ne parlons plus de pêche au homard, mais de pêche au casier, désignant modestement le moyen de la pêche et non plus la prise visée. Ca évitera les déconvenues.
Quelques semaines plus tard, pendant la navigation d'automne, notre seconde étrille sera accompagnée de trois tourteaux dont un à la dimension règlementaire ! Cette étrille et ce tourteau surprise arriveront à point nommé compenser un manque de proteïnes caractérisé. Voilà ce qui arrive quand on approvisionne un peu juste en comptant sur la pèche pour assurer.... parfois, ça marche !
Rédigé par : Skol | 31 octobre 2011 à 13:12
Au printemps 2012 et pendant l'été 2012, quelques tourteaux de taille généreuse sont venus former un début de tableau de chasse honorable. Mais nous sommes toujours en quête de notre "premier homard".
Rédigé par : Skol | 15 novembre 2012 à 19:18