Agent de l’Etat Sénégalais approchant la fin de carrière, déjà plusieurs fois récompensé pour son action, Edouard N. n’a plus rien à prouver à quiconque et sa tranquille légitimité transparait dans ses manières à la fois charmeuses et puissantes.
Lorsqu’on l’interroge sur son âge, il répond « 58 et 63 ». Son âge réel est au-delà de la retraite mais il ne peut y prétendre pour le moment car, comme nombre de ses compatriotes, administrés par des rêgles parfois furieusement inadaptées (1), il a dû « renaitre » (2), comme on dit ici, pour abaisser son âge afin d’accéder à une éducation supérieure. Mais à nos yeux, il avait souvent l’air d’un jeune homme, avec ses éclats de rire répondant aux plaisanteries d’Ariel, ou quand il blague sur lui-même, sa façon amusée de nommer les gens d’une simple épithète, « Baifall » pour Omar, qui se revendique de cette secte (3), « Cheik » pour Bamba qui porte avec dignité son lignage de marabouts, ou « Xonk nopp » (4) pour Ariel qui se présente souvent lui-même ainsi. Son énergie au travail et sa foi dans sa mission donnent aussi une idée de jeunesse, même si son action est visiblement nourrie de la sagesse que confère l’expérience et même s’il se réfugie derrière la modestie de son objectif : « je ne pourrai pas tout résoudre en deux ans mais j’aimerai apporter un changement significatif et durable ».
Cet homme a de l’éducation, il a voyagé en France, en Italie et au Canada, lors de sa formation aux métiers de la politique de la pêche. « J’ai étudié la situation des pêcheurs du Guillvinec et nous tenterons de ne pas en arriver là avec notre ressource halieutique, mais ce n’est pas simple » dit-il avec un clin d’œil lorsqu’il apprend que Skol vient de Lorient. Et, restant fidèle à son pays, il a servi toute sa carrière au ministère des pêches, s’occupant de pêche artisanale, de pêche industrielle et de programmes d’aide internationale à la pêche sénégalaise.
Nous avons apprécié dès le premier contact son érudition, sa vision politique, sa gentillesse et son ouverture d’esprit. A tel point que nous avons cultivé son contact de manière quasi-quotidienne (5) pendant nos semaines de séjour à Djifère, où il est en poste depuis quelques mois. A tel point que nous avons littéralement travaillé pour lui une partie de notre temps là-bas. A tel point que nous l’avons invité, avec sa femme, à une sortie en mer à la voile, ce que nous avons refusé à tant d’autres sénégalais si demandeurs. Nous aurions été honorés que cette sortie puisse se faire avant notre départ un peu précipité et nous espérons que le contact sera maintenu dans l’avenir.
Comme nous l’avons assez longuement côtoyé et observé, nous avons repéré trois de ses marottes, petites phrases qui reviennent régulièrement dans son discours comme des moyens de rester centré sur ses objectifs : « je n’ai pas de protocole », « attention au péril fécal » et « il faut réduire le marché noir ». Ce qu’il veut dire par là et comment il s’y prend ? A suivre…
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1 - Chaque ministère, dit-on, est piloté par un conseiller français.
2 - Ca consiste à choisir un village dont les archives ont brûlé (cas fréquent) et faire émettre un nouveau certificat de naissance. La première fois que nous avons entendu parler de cette pratique, ça nous a laissés songeurs : qu’est-ce qu’un état dans lequel on trafique son identité couramment ?
3 - Secte de racine musulmane.
4 - Xonk nopp, littéralement « oreilles rouges », expression qui désigne les blancs.
5 - Il faut dire que leur Teranga (tradition d’hospitalité) ne nous permettait pas souvent de nous dérober à l’heure des thés rituels ou repas que nous nous retrouvions à partager avec l’équipe. Un soir, c’est même Ariel qui a cuisiné le ceebu djen pour tout le monde, expérience qui nous a permis d’apprendre à préparer le ris brisé à la façon sénégalaise
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