Lorsque nos amis Uruguayens m'ont demandé ce que j'aimais dans leur pays, il m'a semblé naturel de mentionner cette impression, intuition, que leur société est plus égalitaire que d'autres. Nous arrivions d'Afrique où la séparation des sexes est permanente, où l'on voit des groupes de femmes croiser des groupes d'hommes, s'activer chacun de son côté ou bien ensemble mais dans des rôles asymétriques. Une société où l'on voit très rarement des hommes et des femmes en public dans des rôles égaux, en dehors du rôle passif de passager de bus, bien entendu.
Ici, ce qui nous a frappés dès les premières heures à terre, c'est de voir la présence des femmes dans la société. Des femmes à moto, des femmes en tenue de chantier travaillant en équipe avec des hommes, des femmes pêchant à la ligne sur le quai, et même des vielles matrones sirotant le maté tranquillement dans un fauteuil à l'ombre en papotant. Les couples se déplacent ensemble en se tenant la main, s'occupent des enfants indifféremment l'un ou l'autre. Ariel parle cuisine avec les hommes sans que le sujet soit une surprise ni une plaisanterie.
Ça fait du bien.
Quand Ariel a mentionné cette égalité-là pendant la soirée festive familiale à laquelle nous avions été invités, sa remarque a fait rugir de joie les 10 nanas de l'assistance, et des hommes nous ont confirmé, avec du respect dans la voix (1), qu'elles l'avaient demandée et obtenue, qu'elles avaient lutté pour conquérir cette position dans la société. La grand-mère de Maggi vivait à la maison, coincée dans les tâches ménagères et le soin des enfants. Sa mère a fait partie des premières vagues de femmes au travail. Maggi elle-même est à 33 ans la patronne du bistrot qu'elle gère avec son mari et son beau-frère et cette situation est vécue avec le plus grand naturel, pas comme une exception ni une anomalie.
Il a donc suffit de deux générations pour bouleverser la société. Deux générations dans une région du monde qui était connue, avant les dictatures, pour sa production intellectuelle foisonnante et ses politiques progressistes (2). L'Amérique Latine présente deux particularités dans ce domaine. Beaucoup d'hommes politiques sont aussi des intellectuels capables de penser la société et se font parfois élire pour diriger leur pays. Et par ailleurs, dans cette région du monde, même si ce n'est pas le cas de l'Uruguay, un bon nombre de présidents sont actuellement des présidentes.
Ça donne de l'espoir.
Lorsque nos amis Uruguayens m'ont posé cette question, nous ne connaissions encore que la petite ville de La Paloma, station balnéaire relativement populaire, c'est-à-dire pas trop huppée. Ma perception du caractère égalitaire de la société uruguayenne en a pris un coup plus tard, lorsque nous avons fait escale à Punta Del Este pour faire tamponner nos passeports. Juste une nuit d'escale pour sortir en règle du pays. Une nuit d'escale à prix d'or. Punta Del Este, nous le savions, est la station balnéaire des riches Argentins, des Argentins millionnaires, dit-on, en tous cas les Argentins suffisamment riches pour supporter le cout de la vie ici (30 à 50% plus cher que chez eux), ce qui les prémuni contre le mélange avec leurs propres classe moyennes (3). C'est une enclave consacrée à l'accueil de ces riches touristes et de leurs yachts (4), une enclave où l'égalité n'est pas la règle. Un pays à culture égalitaire et à gouvernement progressiste (5) peut donc entretenir et encourager en son sein des pratiques hautement inégalitaires (6).
Ça surprend.
Parmi les femmes uruguayennes dont nous avons fait la connaissance, il semble que beaucoup sont divorcées. Il faut dire qu'ici, le divorce sur seule demande de la femme est acquis depuis 1913. Au Sénégal, nous avions observé que les femmes dont le statut était comparable à celui des hommes étaient souvent des divorcées ayant quitté un mariage polygame, inégalitaire par définition. Ça nous entraine dans une série d'interrogations et de débats à bord, où la question de l'égalité et de la complémentarité est souvent un sujet d'affrontement, qu'il s'agisse de nous-mêmes ou bien des gens que nous rencontrons.
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Ariel prétend qu'il y avait une pointe d'ironie dans ce respect, mais je le soupçonne d'être de parti pris.
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Il me reste à découvrir dans quelle proportion l'activité scientifique Uruguayenne, décimée ici pendant les années militaires, par la persécution, les emprisonnements, l'exclusion du corps des enseignants ou l'exil, s'est reconstituée au cours des trois dernières décennies.
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Laquelle classe moyenne se rassemble en masse plus au sud, de l'autre côté du Rio de La Plata, exactement à Mar Del Plata, Argentine, dont nous parlerons bientôt.
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Immatriculés dans des quartiers exotiques comme l'état Nord Américain du Delaware pour échapper aux taxes.
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Le président Mujica, a par exemple, dès son premier mandat, décidé de garder son domicile et laissé le palais présidentiel à disposition des indigents du pays.
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Cela nous a valu la surprise désagréable d'être assimilés à la classe richissime et de devoir par conséquent payer un prix exorbitant pour la nuit de port et une taxe spéciale d'émigration, au prétexte, nous a dit la policière, qu'en tant que propriétaires de voilier nous étions considérés comme une entreprise.
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