Au premier regard, la lagune semblait morne et inhabitée, loin de l'idée qu'on pouvait se faire du paradis de vie sauvage qu'annonçait le guide nautique. Mais au fil des jours, l'observateur patient et attentif découvre quelques trésors au coin de l'œil ou au bout des jumelles.
Les petits tas sombres qui se révèlent à marée basse dans la vase, sous ces herbes qui savent grandir le pied dans l'eau de mer et la tête à l'air libre, ce sont des huitres sauvages. Elles sont restées à notre disposition, comme un garde-manger, pendant tout le mois de notre séjour et se sont avérées particulièrement savoureuses à déguster. Sur les mêmes bancs de vase que la marée basse découvre, les Goélands et les Huitriers-Pie aux becs écarlates cohabitent gentiment en se partageant les coquillages et les millions de petits crabes. On voit aussi le vol gracieux de petites Sternes se mêler au battement d'ailes noir et blanc des Terro-terro, ces Vanneaux Huppés chiliens, dont les cris nous sont familiers depuis l'Uruguay.
Une Grèbe Huppée s'endort parfois si profondément sur l'eau qu'elle se laisse emporter par le courant ou le vent. Elle s'éveille soudain pour éviter une collision avec Skol et se remet à pédaler un peu des palmes pour se recentrer sur la lagune. Des perruches par centaines passent chaque jour le matin dans un sens et repassent le soir dans l'autre sens, toujours aussi bavardes. Il suffit de tendre l'oreille. Ariel en profite pour entretenir sa pratique du langage de ces petits volatiles verts. Les flamants roses, eux, ne passent pas tous les jours mais quand ils passent, c'est un arc majestueux de vingt animaux qui glisse dans le ciel matinal. Il faut être réveillé et le nez en l'air à la bonne heure pour les voir, car leur vol est silencieux (1). Les cygnes de Patagonie ressemblent aux nôtres mais leur bec est rouge et leur cou moins arqué. On les voit peu parce qu'ils préfèrent s'alimenter aux berges extérieures du banc de sable et herbes qui ferme la lagune. Peut-être fuient-ils aussi l'agitation des pêcheurs, comme les flamands roses.
Une espèce de grands rapaces que nous ne connaissions pas se montre au-dessus des berges. Des Caracaras. Ils vont par deux ou trois, ont une calotte noire sur la tête et une face rouge qui s'étend jusqu'en arrière de l'œil. Quelques petits hiboux s'envolent lorsqu'une voiture passe, ou bien parfois une espèce de bécassine. Et d'autres petits rapaces, qui poussent des cris comme des lamentations, tournoient au-dessus de la lande à l'affut des petits mammifères qui vivent là. Il y a aussi les Nandus, ou Rhea, espèce d'autruche de petite taille mais très véloce, avec lesquels on espérait faire connaissance depuis le premier jour et qu'on a fini par voir dans le pré d'à côté, après dix jours d'interrogations sur la disparition de l'espèce. Ils étaient là depuis le début, en fait, mais la broussaille de ce côté du rivage les cachait à nos yeux depuis le pont du bateau, et c'est seulement à marée haute qu'on pouvait vraiment se rendre compte de leur présence.
La forme de la lagune change selon les marées, elles-mêmes modifiées par les vents. Il faut avoir vu la marée basse après trois jours de vents du Nord pour connaître réellement les sinuosités du fond et la position exacte des bancs de sable ou de galets. Et il faut avoir assisté à une marée haute lorsque le vent du Sud a soufflé fort pendant plusieurs jours pour savoir que le petit mont Ararat sur lequel nous avions espéré mettre Banana à l'abri de l'eau en attendant notre retour de promenade était effectivement le seul point en sécurité pour l'annexe, bien qu'inaccessible pour nous tant que la mer ne s'était pas un peu retirée. L'eau et les rives changent de couleur selon l'état du ciel et l'heure du jour. Des gris anthracite sur bleu plomb et verts anglais par temps couvert. Des herbes teintées d'or, le soir quand le ciel se farde de roses et oranges et saigne dans l'eau. Ou les azurs et turquoise francs des journées lumineuses que cet automne a continué à nous offrir. Et toujours, les trois touches orange des bateaux de la famille qui vit ici.
Notre lagune se trouve loin à l'intérieur des méandres (2). Les Lions de Mer, eux, logent plutôt leurs colonies sur les bancs de sable les plus proches du large, où ils trouvent une nourriture plus adaptée à leurs gouts. Mais nous avons tout de même vu une fois la nage paresseuse et la tête de chien d'un de ces animaux s'approcher de notre mouillage. Un chasseur solitaire, loin de sa tribu. D'autres mammifères sauvages peuplent les rives, rongeurs petits et grands, dont on peut voir les terriers ici où là et dont les chasseurs et la présence des rapaces nous parlent. On sait qu'ils sont là mais les broussailles et herbes hautes les ont toujours cachés à nos yeux.
C'est notre façon de voyager, à la recherche d'escales longues dans les coins reculés, qui permet cette imprégnation douce des environnements naturels nouveaux pour nous, en plus de permettre les belles rencontres avec les habitants.
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Le jeune Bruce nous emmènera un jour sur son Aylen jusqu'à l'île où ils se posent pour la journée. Une demie heure vrombissante et l'excitation de voir grandir la tache claire du groupe d'oiseaux posés là-bas, de l'autre côté. Mais nous n'avons eu que quelques minutes pour les approcher et prendre quelques images avant qu'ils ne s'éloignent. Ils n'aiment pas les bruits humains et ont l'œil perçant.
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Lorsqu'on dispose d'une puissance moteur faible comme la nôtre, il vaut mieux prendre le temps de deux marées pour entrer jusqu'à la lagune ou pour partir d'ici et rejoindre l'océan atlantique.
Hello du bateau Isabelle et Ariel,
Dommage que je n'étudie que le cerveau de poissons japonais...
J'aurai bien aimé venir étudier les oiseaux de votre paradis !
Ici c'est un très beau printemps, le rosier de la façade a fait ses premières roses et la glycine qui a commencé à s'installer dans le même rosier il y a deux ans et nous gratifie des ses grappes violette décolorées et de sa fragrance sucrée, un délice. A chacun son paradis.
Bises à vous deux de la terre ferme du Bois Persan
Jean-Michel
Rédigé par : Jean-Michel Hermel | 22 avril 2015 à 14:46
hello Jean-Michel, merci pour l'évocation de ton petit paradis à toi, je les vois bien, le rosier et la glycine.... on n'a pas ça ici: la partie nord de la patagonie est très plate et presque aride.
Des bises à vous deux !
isabelle
Rédigé par : Isabelle | 23 avril 2015 à 21:20