A Puerto Rio Tranquillo, en marchant sur la rive du Lac Général Carrera, nous longeons soudain ce qui ressemble à un village miniature. Intrigués, nous nous approchons et comprenons vite, en remarquant la densité de croix au mètre carré, qu'il s'agit d'un cimetière. Les tombes qui séparent parfois les allées de maisonnettes sont également un indice... Silencieusement, nous parcourrons une rue, contournons l'église. On dirait des maisons de poupées géantes. Je m'amuse intérieurement de leur allure de vraies maisons, avec toiture, porte et fenêtres. Il y a même des rideaux brodés et sur le rebord des fenêtres, on peut voir parfois, en se penchant un peu, un vase miniature ou un objet fétiche. A l'intérieur, la même profusion de couronnes et fleurs en plastique que sur les tombes extérieures, qui sont généralement très colorées. Voilà des gens qui prennent très au sérieux l'expression "dernière demeure", me dis-je, et qui en outre ne se moquent pas de leurs défunts pour ce qui est de la vue panoramique !
Nous apprendrons le lendemain que cette tradition de tombes-maisonnettes n'est pas une exclusivité des abords de ce lac. Elle est née, au contraire, à plus de cinq cent kilomètres de là, dans l'archipel de Chiloé et s'est répandue ensuite sur le continent. A l'époque où elle a pris forme, seule la barque permettait de circuler entre les îles et ilots du grand archipel. Celui qui allait honorer ses ancêtres enterrés sur une terre parfois éloignée de plusieurs heures de rame ou de navigation à voile, pouvait se trouver bloqué là-bas par une tempête imprévue. Il était donc heureux de trouver sur place un toit pour s'abriter des intempéries. Dans certains cas, la distance à parcourir ou les courants de marée étaient tels qu'il fallait de toutes façons prévoir de passer la nuit au cimetière.
De nos jours même si elle ne se justifie plus ainsi, la coutume perdure de bâtir au dessus du lieu de séjour du mort, une réplique de la maison du vivant. Les membres survivants de la famille y entrent encore de temps en temps pour réarranger les fleurs de plastique ou passer un coup de balais. Tout naturellement.
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