Nous sommes partis vers le sud au point du jour, après avoir laissé filer sans trop de remords une nuit entière de vent du nord susceptible de se mêler fort mal à la houle de fond et d'agiter nos estomacs. La faveur d'un vent d'ouest-sud-ouest parvient ce matin à ce juste équilibre où ni la grande houle ni la route de Skol ne sont vraiment contrariés. Les quelques grosses rafales qui nous ont saluées quand nous avons quitté l'abri de Taitao pour vraiment nous engager dans le Golfe n'étaient qu'une taquinerie, comme une bonne bourrade qu'on donne à un ami lors des retrouvailles, ou comme un petit claquement des doigts que le cosmos aurait produit pour s'assurer que toute notre attention est bien en éveil. Elle l'est. Même si Barkaï assure la tenue du gouvernail, notre regard balaie fréquemment les eaux désertes autour de nous. Pas si désertes que ça, en fait. Une baleine grande comme Skol vient nous tenir compagnie pendant de longues heures, jouant à échapper à l'appareil photo, comme d'habitude. Les frayeurs que ces rencontres suscitaient en nous, il y a quelques années, ont fait place à un plaisir plus tranquille. Nous avons maintenant l'habitude de leurs jeux, qui consistent à passer sous le bateau, juste devant, nager à nos côtés ou nous souffler un coup de brumisateur au visage. Jamais nous ne modifions notre route pendant ces jeux. Jamais elles ne nous ont touchés. Merci belle dame (1) pour la visite.
L'accalmie annoncée par les prévisionnistes ne se présentant pas, nous affalons les voiles en plein cœur d'une nuit sans lune et veillons pendant quelques heures de dérive lente. Il fait si noir qu'on ne voit pas l'avant du bateau. Seul le pinceau du phare d'entrée du Canal Messier apparait et disparait à son rythme, parfois masqué par la crête des vagues. Au petit matin, nous reprenons la route pour parachever notre seconde traversée du Golfe des Peines. Skol s'engage de nouveau dans les canaux de Patagonie et pénètre ici en territoire kawésqar. Nous nous demandons avec émotion si nos amies de Puerto Eden se souviennent encore des deux français qui les ont quittées en juin dernier, avec de grandes embrassades. Elles nous avaient alors accordé à l'avance la permission de revenir naviguer dans leurs eaux. (2)
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Comme pour les otaries, je prends le risque de froisser l'individu si c'est un mâle. Je prends aussi un risque de froisser l'espèce car il pourrait s'agir de Rorqual. Mais comme elle n'est pas aussi susceptible que moi, ces détails linguistiques ne la touchent pas.
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Par hasard ou bien est-ce le fait d'une merveilleuse télépathie, Maria Isabel nous a justement envoyé un petit message par mail, disant qu'elles nous attendent, le jour exact où nous avons quitté l'Ile Kent. Mais pour le moment nous l'ignorons.
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