Ça fait un petit moment que je l'ai repéré. Faut dire qu'avec le beau temps qu'on a aujourd'hui, le regard a envie de porter loin, au lieu de rester plongé dans l'herbage, même délicieux. Il a tournicoté en boucles lentes et en marches avant–arrière comme s'il hésitait à s'approcher du bord (1). Ensuite, il est venu par ici et alors j'ai pu vérifier que ce n'est vraiment pas le même que d'habitude, celui qui vient avec les humains qui nous cherchent dans la montagne et passent du temps à nous examiner les uns après les autres (2). Là, c'est moi qui examine, du coup ! Ha ! Ha ! Je ne vais pas me priver.
Par exemple, ceux-là, en arrivant, ils disent « bonjour, permiso ? » et ils font attention à ne pas faire trop de bruit. Alors d'accord, qu'ils s'installent là et pensent bien à s'attacher à un arbre. On ne sait jamais, les conditions peuvent changer très vite. Je continue ma collation pendant ce temps, si ça ne dérange pas.
Voilà que les deux humains s'en vont en poussant sur l'eau leur espèce de glaçon (3). Faudrait qu'ils fassent gaffe, là où ils vont il y a des glaçons dérivants beaucoup plus gros que ça ! Sinon, je leur suggère la ballade sur la moraine. Rien de tel que galoper sur le sable, sautiller dans les galets, picorer les buissons de calafate même si la saison va sur la fin. A cette heure, mes cousins y sont peut-être, d'ailleurs. Ils remarqueront aussi sans doute qu'il y a eu du changement la saison dernière, quand le glacier a relâché brusquement un lac entier (4), poussant quelques centaines de tonnes de galets sur le côté et flanquant une dune entière cul par-dessus tête, une dune de bonne herbe au goût salé. Quel grabuge ça a fait ! Maintenant j'attend avec impatience que ça repousse. Bon, je dis ça, mais est-ce qu'ils savent regarder, ces deux-là ? Moi, par exemple j'ai vu un truc se produire sous mes yeux pendant leur promenade. Le petit flotteur qu'ils avaient déposé sur l'eau (5) avant de s'éloigner a disparu sous le bateau. J'espère qu'ils ne vont pas me le laisser ici parce que je suis au courant, le plastique c'est une cochonnerie qui ne se mange pas !
Alors voyons, les revoilà. La ballade a dû leur plaire, mais le grand sourire disparait d'un coup et ça s'agite à la recherche du petit flotteur. Ils feraient mieux de garder leur calme. Il reste un peu de jour pour résoudre le problème. Je continue tranquillement mon gouter, moi. Toujours sans m'éloigner, je veux voir comment ils s'en sortent… Tiens donc, le costume d'otarie (6), là, c'est pour plonger dans l'eau ? Dans l'eau de fonte du glacier toute froide ? Je comprends que ça hésite avant de se lancer, c'est peut-être un brin extrême comme solution. Ben voilààààà, avec un peu de méthode, pas besoin de se jeter à l'eau finalement. Bon ben ces deux-là, avec leur silence et leur propreté, ils peuvent revenir quand ils veulent, ils seront les bienvenus !
- Les fonds en face de la moraine étaient vraiment surprenants, comme ravinés, nous avons plusieurs fois failli nous échouer.
- Les équipes de gardes-forestiers accompagnés de représentants des kawésqar viennent chaque année "compter" les huemuls, suivre les naissances, vérifier l'état de santé de ces animaux protégés.
- Je me suis dis que l'aspect tout blanc de banana a pu lui rappeler les blocs qui s'échappent du glacier et flottent devant ses yeux.
- La moraine que nous avons parcourue était très chaotique comme fraichement retournée par endroits et sa forme différait de ce que les images satellite récentes montraient. Nous avons réfléchi à ce qui avait pu provoquer ces transformations et voilà notre hypothèse.
- La bouée de relevage du casier à crabe qu'Ariel dépose au fond dès qu'on s'arrête quelque part.
- J'avais enfilé ma combinaison de plongée, tout en réfléchissant au moyen de désengager le filin pris dans l'hélice sans avoir à plonger. Pendant ce temps Ariel s'escrimait à mettre en route sa micro-caméra étanche pour tenter de voir sous l'eau la situation.
Re-bonjour à tous les deux, je me délecte de vos récits que je lis chronologiquement à l'envers, en fait c'est parce que je suis tombé par hasard sur les derniers en Patagonie et comme j'adore, je lis tout le reste à l'envers !
Bon vent et bonne mer
Philippe (de Mikeno)
Rédigé par : Philippe Lagarrigue | 07 juin 2018 à 15:06