Trente heures de navigation suave nous amènent, par une sorte de diagonale, aux abords de l'ile Javier. Nous apprécions cette lenteur au plus haut point. Rien ne bouscule notre interminable contemplation des crêtes enneigées de la cordillère des Andes, bien visibles, au-dessus des premiers contreforts. Si nous avions fractionné ce trajet en trois étapes de jour, nous aurions naturellement navigué tout près de la côte, ce qui nous aurait fait rater le spectacle. La nuit aussi, nous savourons le paysage. Les montagnes sont là, attendant le jour avec nous, sous un ciel étoilé et exempt de nuages. Elles ont décliné une gamme de roses et pourpres dans le jour finissant, elles s'habillent de gris bleuté virant au vert le matin, avant de reprendre leur blancheur éclatante pour le second jour, toujours aussi paisible. Une luminosité parfaite qui permet de voir les deux rives du Golfe des Peines en même temps, fait exceptionnel ! C'est un temps à observer les baleines, murmurons-nous sans trop y croire…
Est-ce grâce au soleil ? Est-ce à cause du calme inhabituel des eaux épargnées par la houle ? Est-ce une question de saison ? Ou bien pur hasard ? Jamais auparavant nous n'avions observé plus d'une poignée de baleines en même temps. Ce jour-là, elles sont une bonne douzaine, à l'extérieur puis à l'intérieur d'une immense baie aux eaux peu profondes et chargées de krill. Elles nous observent et nous accompagnent de longues heures, le disputant désormais au glacier pour capter notre attention, jouant par paires et par famille entière avec notre sillage ou notre étrave, souriant et soufflant à qui mieux mieux.
C'est leur coin, leur domaine, un endroit du monde où personne ne vient les déranger, espérons-nous. Si loin des routes maritimes commerciales et des zones de pêche autorisée. Seuls les indigènes, autrefois, passaient par ici une ou deux fois par an, pour une rencontre entre les représentants des peuples du nord, les Chonos et ceux des peuples du sud, les Kawésqar. La tranquillité du lieu en ce jour magnifique nous fait songer à un sanctuaire dans lequel les cétacés immenses viendraient élever leurs petits ou bien finir leur vieux jours en paix.
Et nous, si petits, si silencieux, traversons ce territoire lentement, leur laissant l'initiative de s'approcher ou pas. Nous profiterons d'une dernière nuit paisible et sans nuages pour planter notre ancre et tendre une amarre vers les arbres en dehors de tout abri, juste le long du rivage qui fait face aux montagnes, pour pouvoir contempler encore une fois les déclinaisons colorées à couper le souffle, un soir et un matin de plus, avant que le temps ne se gâte, ce qui est inéluctable. Il faudra demain chercher à tâtons une niche cosy, où nous pourrions rester quelques temps.
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