La première semaine que nous passons dans notre petite cellule arborée est consacrée à nous remettre des émotions merveilleuses de nos rencontres avec les baleines vivantes, déambuler sur les plages à la rencontre des ossements de leurs ainées décédées, cueillir l'Apio Sylvestre selon nos besoins, et autres activités d'intérieur ou de plein air, un peu comme des vacances. La météo pluvieuse et les vents du nord nous laissent entrapercevoir qu'il ne sera pas facile de quitter ce sanctuaire… Serions-nous en prison ? A une lettre près ! Ariel déniche dans notre discothèque numérique l'enregistrement du concert que Johnny Cash donna en 69 à San QuEntin, célèbre prison Californienne.
Nous passons la seconde semaine à examiner la météo soigneusement, nous préparer à partir, puis renoncer. Et autres activités de plein air et d'intérieur, un peu comme une attente. Attente de vents du sud modérés qui nous aideraient à nous dégager d'ici en contournant dans la foulée la péninsule de Taitao. Une prison douce mais tenace. You may check out whenever you like, but you may never leave … Ariel parvient à réceptionner les ondes radio de la BBC et de RFI qui nous tiennent dûment informés du choix cornélien face auquel la dispersion des candidatures et le battage médiatique ont mis les électeurs français. A la fin de la seconde semaine, un autre voilier surgit dans ce coin perdu ! C'est une famille de nomades au long cours que nous avons déjà croisée brièvement (1).
La troisième semaine est consacrée à compter les dépressions qui se succèdent et recompter nos réserves en élaborant des stratégies du pire. Quid si nous restons bloqués un mois ? Un mois de chauffage consomme du carburant, un mois de repas fait baisser les réserves de nourriture et de gaz de cuisson. Il reste encore beaucoup de route à faire pour retrouver la civilisation. Mais nous avions vraiment bien approvisionné. Vraiment bien dans toutes les catégories, sauf une. Ce qui va manquer, c'est notre capacité à recevoir la météo par téléphone satellite, car notre crédit s'épuise. Plusieurs consultations ont consommé plus que d'habitude pour des raisons techniques, et l'instabilité du climat nous invite à rafraîchir plus souvent les données que prévu. Stupides que nous avons été de ne pas recharger plus notre compte, tandis que nous en avions la possibilité, à Puerto Eden. Maintenant c'est trop tard, il faut faire avec ce que nous avons. Ariel reprend ses routines de captation quotidienne des cartes météo avec notre récepteur d'ondes courtes. C'est plus laborieux et moins précis mais c'est gratuit et ça permet de prendre des décisions !
Entretemps, une visite prolongée de la loutre - celle avec laquelle nous partageons l'espace et la ressource halieutique (2) - nous lance dans une réflexion sur la place de la contemplation dans notre vie de voyage et les différentes manières de rencontrer un lieu. La fréquentation et l'observation de nos voisins de quelques jours, qui semblent mettre un point d'honneur à arpenter la zone à pied, en annexe et même avec le grand bateau, pour en découvrir tous les recoins, souligne par contraste notre propre immobilisme. Nous convenons que les hublots panoramiques de notre Skol permettent de savourer l'enfermement à bord, en ces régions à la pluviométrie stratosphérique. Il se pourrait que la bougeotte de nos amis soit induite par la petitesse des hublots du Mollymawk qui les prive de ces moments de grâce que nous vivons régulièrement (3). Ou bien c'est tout simplement la capacité d'Ariel à s'émerveiller de peu qui élève notre niveau d'attention et nous permet de nous en satisfaire, sans chercher « tout de suite » ni « beaucoup ». Quoi qu'il en soit nous touchons là aux relations entre un équipage et son esquif, entre un tempérament et une architecture.
Une fenêtre météo de sortie de prison semble se présenter, à la fin de la troisième semaine, le jour où nous célébrons nos trois ans de voyage. Nous quittons la baie de San Quintin et sillonnons pour la quatrième fois le Golfe des Peines dans la fin d'un coup de vent, espérant passer avant le suivant.
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Une première rencontre à Mar Del Plata il y a 2 ans, et la dernière très récemment non loin de Puerto Eden. Leur arrivée à St Quintin ne nous a pas totalement pris par surprise, sachant qu'ils étaient dans la région et connaissant leur gout pour les prolongations et détours. Ils ont passé les premiers jours au mouillage face à notre cellule, mais une tempête s'approchant, ils ont songé à s'amarrer eux aussi aux arbres. Après avoir demandé la permission de prendre place à nos côtés, en se serrant un peu, ils ont opté finalement pour une autre cellule, à quelques coups de rames de là, ce qui permettait de continuer à nous fréquenter avec légèreté au lieu d'avoir le regard plongeant dans les hublots du voisin. Mon petit doigt me dit qu'ils avaient également envie de baptiser un abri, or nous avions déjà inscrit le nom de la caleta Jurançon dans notre journal de bord !
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Que les fans de la rubrique « ressource halieutique » prennent patience, nous reviendrons sur la question des crustacés dans une note ultérieure.
- Le caca quotidien du chien du bord n'explique qu'une partie des sorties de l'équipage, souvent au grand complet. Il y a donc autre chose....
Belles évocations, en vous lisant, j'y suis (d'autant plus que je suis accompagnée par le bruit de la pluie et son odeur ...)
Rédigé par : jannick | 11 juillet 2017 à 11:05
@ Jannick : Ici la pluie est tellement rincée avant d'arriver au sol qu'elle ne sent plus rien ... ;-)
Rédigé par : Isabelle | 15 juillet 2017 à 00:11