Voilà. Notre petit cauchemar administrativo-policier a pris fin. Mais il y a eu des moments de doute, des moments d'inquiétude et des moments, osons le dire, de colère. D'accord, nous étions fautifs à la base. En faisant le pari de la mansuétude des autorités, sur la base de quelques témoignages de navigants ayant dépassé les trois mois de permis de séjour (1), nous avions choisi d'aller jusqu'à Puerto Eden, pour revoir nos amies kawésqar et les beaux paysages qu'on ne trouve qu'au Sud de Taitao. Nous souhaitions prendre notre temps et les distances sont telles, dans ce pays, que nous étions résignés à en revenir cette fois-ci en état d'infraction. A notre décharge, le vol de l'annexe et les recherches immédiatement engagées ont alourdi notre « faute » de deux bonnes semaines, puis le mauvais temps et les conditions précaires de notre installation initiale à Castro nous ont fait encore trainer la patte quelques jours. Et pas de chance, personne ne nous a dit qu'il existait une procédure ad'hoc pour faire amende honorable au lieu de nous présenter à la frontière en vue d'une sortie discrète vers l'Argentine et d'un retour immédiat avec un tampon neuf, ce qu'avaient fait les infracteurs de notre connaissance, sans être inquiétés.
Ils ne nous ont pas laissés sortir du pays. Ils ont mal pris ou mal compris nos explications, rien voulu entendre des conditions particulières de notre infraction, le sous-chef nous aurait bien laissés passer mais son chef s'est fâché (contre nous, contre lui ?) et nous a infligé la totale : Propos menaçant évoquant des mesures de contrôle policier drastiques, une amende « pouvant aller jusqu'à un million de pesos par personne (mille trois cent euros) !», etc… Il voulait nous faire entendre qui détenait le pouvoir, n'est-ce pas ? Chez nous ça pourrait s'appeler excès de zèle, voire abus d'autorité. La punition décidée par un juge a été plus modérée que ça, ouf. Quelques dizaines d'euros chacun d'amende, quelques semaines de « control policial » et quelques journées de voyages en bus qui nous soustrayaient malgré nous à nos autres priorités (2). Une période pendant laquelle nous avons approché du bout des doigts les complications auxquelles font face les étrangers non européens en France. Car chez nous aussi, il y a des abus. Abus de pouvoir, abus de paperasserie. La langue d'une chilienne ayant passé une année complète en France, avec un visa initial de six mois seulement, se délie : « Je pleurais tous les jours, il manquait toujours un papier quand j'allais à la préfecture. Après une heure de train et des heures d'attente, il manquait toujours quelque chose à mon dossier, dont on ne m'avait pas parlé avant ».
Aujourd'hui encore, nous ressassons la notion d'infraction grave, comme il nous a été affirmé par le policier contrarié. Que signifie infraction grave dans un pays dont l'état n'a toujours pas traduit en justice un nombre conséquent de tortureurs et d'assassins, notamment les principaux responsable, ou qui les ai laissés s'en sortir par des mensonges et de la corruption? Dans un état qui fait des lois pour la bientraitance des animaux, alors que tant de mères, sœurs, grand-mères réclament encore l'ouverture des archives militaires pour savoir la vérité sur leurs disparus ? Un état qui pénalise l'absence du drapeau chilien à la devanture de la maison le jour de la fête nationale, alors qu'il a vendu tant de ses ressources et services publics à des sociétés étrangères ? Certains chiliens disent que leur pays « fait tout à l'envers »…
La perle de cette aventure, la pierre précieuse sur ce chemin pénible, fut la rencontre avec l'oncle Oswald et la tia Marta de l'ami Sergio, qui nous ont hébergés à Osorno, la ville où nous devions aller pour signer le registre de contrôle judiciaire et où nous devions faire escale une nuit sur notre chemin vers la frontière, parce que les horaires de bus étaient incompatibles avec ceux des administrations, bien entendu. En trois rencontres, ils nous ont laissé les apprivoiser un peu, jusqu'à nous parler de leur vécu des années Pinochet. Cadeau de vérité complexe dans une société si taiseuse sur cette époque.
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Nous sommes soumis au rythme des quatre-vingt-dix jours depuis notre première arrivée en Uruguay, en novembre 2015. En Uruguay il suffit de payer une amende de 30 euros pour se faire pardonner. En Argentine, si le lieu de long séjour est la région de Buenos Aires, une rapide incursion en Uruguay suffit à remettre les compteurs à zéro. Au Brésil cette contrainte confine au cauchemar tellement elle est impossible à respecter à cause de la taille du pays. Au Chili, pays étroit, on est toujours proches d'une frontière … à vol d'oiseau ! Mais les routes pour y parvenir ne sont pas si fréquentes que ça, surtout dans les canaux inhabités. Nous avons tenté plusieurs fois de demander un permis de résidence temporaire pour un an mais notre situation « ni travailleurs, ni étudiants, ni pensionnés de l'état français » est spéciale et n'entre dans aucune de leurs cases.
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L'un de ces voyages a eu lieu un jour de grosse tempête. Le vent soufflait si fort qu'on marchait penchés dans les rues et que le canal Chacao entre Chiloé et le continent a été fermé quelques heures au moment de notre retour en bus. Pendant ce temps, Skol a rompu une amarre et n'a échappé à un nouveau désastre que grâce à l'intervention d'un des marins professionnels de la société qui nous héberge gratuitement au ponton.
Infraction grave pourrait signifier : j'ai le pouvoir de décider que cette infraction est une infraction, et qu'elle est grave. C'est ce qui compte pour certains détenteurs d'autorité non ? -)
En tout cas, sans cette mésaventure, vous n'auriez pas eu cette chance d'en débattre avec des Chiliens qui vous ont un peu ouvert leurs archives ...
A toute chose malheur est parfois bon.
Et cette annexe ? Toujours pas réapparue ?
Bonne continuation
Jannick
Rédigé par : jannick | 16 août 2017 à 17:13
@ Jannick : exactement !
Nous reparlerons bientôt de l'annexe, patience... il y a toujours un petit décalage entre nos aventures et la publication.
Rédigé par : isabelle | 16 août 2017 à 18:19