Le Club de voile Vito Dumas n'a pas seulement des bouées où s'amarrer, un salon où bavarder au coin du feu, un atelier où bricoler, il a aussi trois chiens. Quand nous débarquons en annexe, Ariel les salue avant même de saluer les humains et il le fait en se baissant pour leur parler gentiment à l'oreille, en leur gratouillant le cou et le ventre tout en murmurant leur nom. Il faut dire que les bestioles viennent gaiement à sa (1) rencontre dès qu'ils le voient pagayer vers le petit ponton où nous laissons l'annexe. Je suis toujours étonnée de cette attention véritable que mon homme porte aux animaux de compagnie (2), comme s'ils étaient aussi voire plus intéressants que leurs maîtres et sans doute le sont-ils parfois en effet, à ses yeux. Il mémorise les noms des chiens et chats de la famille plus vite et plus exactement que les prénoms des enfants, et il en demande des nouvelles avec plus de suivi. Comment se porte le vieux Goliath ? Tu salueras bien ta dame de ma part, et aussi les deux chiens et le chat! Veux-tu que je nourrisse les chachous (3) aujourd'hui si tu es occupé ? Les os pour les chiens sont un élément de la liste de courses aussi important que le reste et il se fustige lorsqu'il lui arrive d'oublier, comme si en écrivant le mot « os » il avait formulé une promesse.
Pourtant, c'est à n'y rien comprendre, Ariel prétend ne pas aimer les chiens ! Il les trouve stupides et trop dépendants des humains. Et il trouve leurs propriétaires coupables d'entretenir cette dépendance, propriétaires auxquels il reproche leur manque de sincérité, leur utilitarisme: les chats pour chasser les souris, les chiens pour se défendre. Il déteste croiser des chiens agressifs dans la rue, il en a même souvent peur plus que ne justifie leur taille. Il parle alors d'en faire du pâté (3). Mais voilà, il se laisse attendrir très vite, je vois bien. Rien qu'un museau posé sur son mollet, rien qu'un coup de langue dans le creux de sa main et alors un simple regard scelle les choses.
Jour après jour, il a observé et enregistré les routines de Peluche, Coca et Chiqui. Leurs habitudes, leurs petits coins, les relations entre eux et avec l'environnement humain et animal. Il a noté les protocoles d'aboiement entre groupes voisins, lorsque les territoires sont frôlés et me les décrit avec minutie à moi qui n'ai rien remarqué. Il sait pour quels membres du club ils sont importants et pour lesquels ils sont transparents, ce qui n'est pas sans influence sur l'estime qu'il portera à untel ou untel. Il assiste avec joie à leurs jeux ou à leurs chasses infructueuses aux oiseaux des berges, se fend d'un grand sourire quand il les voit en pleine sieste tranquille sur la pelouse, en leur enviant leur vie sans soucis. Au début, ça m'agaçait un peu tout ce temps que mon chéri passait avec les animaux quand il fallait qu'on y aille ou bien quand on revenait les bras chargés d'emplettes à ranger dans le bateau. Ca me froissait même un brin, cette façon qu'il avait, parfois, et même souvent, et même ostensiblement, d'accorder plus d'attention aux bêtes qu'aux hommes. Pour tout dire, il y a bien dû y avoir des jours où j'ai senti une pointe de jalousie en mesurant l'inconditionnalité de sa bienveillance envers eux, bienveillance inconditionnelle sur laquelle j'étais sensée détenir des droits en priorité, voire en exclusivité. Mais la constance et l'absence totale de malice de son comportement au fil des années, a fini par me convaincre qu'il n'y avait que du bon dans ces moments de douceur, du bon pour les bêtes, du bon pour lui. Mon homme supporte mieux ses congénères et leurs complexes errements quand il a la possibilité de compenser par un peu de lien simple et sans enjeu, avec des « potes » pas compliqués. Il est moins grognon après une partie de lancer de bâton. Il dit même heureusement qu'il y a les chiens, lorsque la rudesse du choc culturel flexibilité/rigueur met ses nerfs à rude épreuve. Depuis que j'ai compris tout ça, le spectacle de cette tendresse échangée, le moment des câlins avec les bêtes auquel je participe même à l'occasion, sont devenus aussi de la douceur pour moi et de la douceur pour nous deux (5).
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J'ai bien dit à sa rencontre, car c'est à lui que va leur affection, même s'ils viennent aussi me voir quand je débarque seule et même s'ils ne dédaignent pas mes caresses. Mais l'enthousiasme n'est pas le même et je les comprends.
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J'ai déjà largement évoqué la passion de mon homme pour les animaux sauvages. Mais à la différence des animaux sauvages, avec lesquels il tente de communiquer par la voix sans beaucoup de succès (pingouins, otaries, perruches, loutres), les animaux de compagnie répondent et se laissent approcher.
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En espagnol, même quand les chiens sont de grande taille, il dit « Perritos », diminutif affectueux.
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Le numéro de juillet de notre mensuel d'information régulier contient un dossier « l'animal, citoyen comme les autres ? », qui traite de la place relative des animaux et des humains sur la planète terre. Végétariens, anti-spécistes, mouvement des droits des animaux, Ariel vilipende les radicalités sans se rendre compte à quel point il en est proche, avec sa préférence pour la mise à mort des poissons sans douleur (un coup de gnôle dans les ouïes) et l'achat de viandes issues d'animaux ayant eu une vie heureuse (notamment pour fabriquer son jambon « chancho feliz »). Je le taquine en pronostiquant qu'il serait incapable de tuer pour la manger une poule avec laquelle il aurait causé tous les jours en allant chercher ses œufs pour le petit déjeuner. A suivre…
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Que personne ne s'attende, toutefois, à ce que nous embarquions un chat, un chien ou une chèvre au hasard d'une escale !
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