Malgré une coque nettoyée, nous avons tricoté cinq longs jours de mauvais bords en zig-zag dans des vents faibles et une chaleur écrasante au-dessus du tropique du Capricorne (23° 26’ Sud), progressant laborieusement vers l’Est. Puis, après avoir passé Rio et Buzios, le moment est venu de tourner notre étrave vers le nord en contournant une zone d’exploitation pétrolière (Area To Be Avoided – Zone A Eviter) aux dimensions colossales (1). Alors, bien entendu, le vent aussi a tourné pour se présenter toujours de face et s’est renforcé. Normal en cette saison. La mer s’est levée et tordue à cause des remous de courant contre le bord du plateau continental, compliquant encore plus la vie à bord.
A la moitié du contournement d’ATBA, la grand-voile nous lâche (2). Une déchirure de quatre mètres de long qui nécessite un affalage immédiat et ne sera pas réparable avec les moyens du bord. C’est Skol qui fait une tendinite à sa manière ! Nous voilà comme une bande d’éclopés, me dis-je. Heureusement nous avions conservé l’ancienne grand-voile, mais intervertir des deux toiles de vingt-trois mètres carrés qui battaient et se débattaient dans les rafales nous épuise tellement que nous décidons de passer la nuit à la cape sous foc seul, presque à la dérive, et nous reperdons en quelques heures les milles grappillés vers le nord en une journée entière. . . Cette nuit-là j’ai imaginé la possibilité que nous n’arrivions pas à Salvador de Bahia à temps pour l’avion de ma sœur. Et je l’ai acceptée, sachant que les rendez-vous tendus sont susceptibles de conduire à de mauvaises décisions. Nous verrons jusqu’où nous emmènera cette brave vieille grand-voile. S’il faut faire escale avant Salvador pour réparer, tant pis, je pourrais toujours rejoindre ma sœur par la terre.
Au matin, par prudence, nous remettons en route sous voilure réduite. Il serait bon aussi de nous rapprocher de la côte, qui se trouve de l’autre côté d’ATBA. Comme une relecture fine des instructions nautiques semble révéler que naviguer entre les puits de pétrole et les raffineries flottantes n’est pas strictement interdit, seulement fortement déconseillé, au lieu de contourner de nouveau la zone par le sud, nous osons prendre le raccourcis. Un bord direct au beau milieu de ces véritables cités de science-fiction, amoncellements de poutres et de tuyaux crachant et fumant. Sombres et menaçantes. Éparpillées en mer.
L’une d’entre elles allume soudain sa torchère, juste au moment où nous en approchons, comme pour nous mettre en garde. D’accord, d’accord, on s’en va, d’ailleurs on ne faisait que passer !
- Cent vingt milles de long par trente milles de large. Plusieurs jours de détour.
- Surprise totale. Elle n’a que trois ans d’utilisation et nous en avons pris grand soin ! Après réflexion, nous pensons qu’elle a souffert dans la tempête du Golfe des Peines, nous avions eu du mal à bien tendre le nerf de chute tant les acrobaties que cela nécessitait nous semblaient dangereuses. Mais comment accepter qu’une tempête de quelques heures ait suffit à massacrer une voile de seulement deux ans d’âge et prévue en principe pour le gros temps ? Maudite soit la voilerie qui n’a pas jugé bon d’écouter nos demandes en matière d’échantillonnage et de renforts, prétendant savoir mieux que nous ce qu’il fallait pour naviguer en Patagonie. Grrr.
Toujours très impressionnant ces "villes"en pleine mer, les lueurs au lointain la nuit qui font croire à des mirages,et c'est plus beau dans le noir.
Beau temps pour vous.
Rédigé par : jean-Marie | 29 janvier 2019 à 19:26