Pfiou ! Nous n’en revenons pas de la vitesse à laquelle ça s’est fait (1). C’est à peine si Ariel a pu tenir le compte de la réapparition des constellations du Nord que nous exhumions déjà, du fond des équipets, chaussettes et polaires pour les nuits fraîchissant délicieusement. Plaisir de sentir Skol en pleine forme caracoler pour accomplir la tâche ingrate de remontée de l’alizé. Au début, une sorte d’urgence nous tenait, apaisée au fil des semaines par les nouvelles de la bonne évolution de la convalescence de Régine, la maman d’Ariel, que nous recevions par le téléphone satellite. Au lieu de musarder, nous avons gardé la toile et serré le vent un peu plus que prévu, nous progressions donc plus vite sur un chemin plus court, une arabesque moins ventrue que la trajectoire envisagée. Il y a eu aussi quelques temps une petite stimulation, un jeu de comparaison avec Bekwaipa-Le-Magnifique de Robin et Philémon, parti quelques heures seulement après nous de Jacaré, pour accomplir le même trajet. Rencontre improbable en plein océan, lorsqu’ils nous ont rattrapés. Quelques jours à portée de vue dans les langueurs du pot-au-noir, on a même envisagé une partie d’échec jouée par radio. Et puis ils ont filé en tête, c’était prévu, leur bateau est plus grand, leurs bras sont plus jeunes et leur état d’esprit était peut-être plus à la compétition. Nous avons continué à suivre de loin en loin leurs progression comme ils ont suivi la nôtre, grâce à un complice à terre converti, par jeu et par amitié, en relais de nos positions respectives en même temps qu’il gardait pour nous un œil sur les grosses dépressions venues de terre-neuve qui défilent encore en cette saison, en rasant les Açores de plus ou moins près (2).
Ayant franchi en un temps record la première moitié du trajet, nous avions pris goût aux moyennes quotidiennes que notre brave petit voilier parvient à couvrir lorsque les vagues restent raisonnables et qu’aucun courant ne s’ingénie à lui faire face. Alors, même quand l’urgence et la sensation de performance se sont estompées, nous avons continué à bien faire marcher les voiles, pour le plaisir. Les célébrations se sont enchainées dans un tourbillon de haute cuisine et de vins fins, les meilleures réserves du bord n’avaient pas vocation à retourner en Europe, n’est-ce pas ? Haut-Médoc 1989 pour le franchissement de l’équateur, Pauillac 1979 pour les cinq ans de voyage, Listrac-Médoc 1997 pour mon anniversaire. On liquide la cave, tout doit disparaitre ! Menus exceptionnels à l’avenant, il fallait faire honneur à ces vénérables bouteilles issues des caves de nos parents. (3)
Peut-être aussi avions nous hâte d’en finir, hâte de parachever ce retour vers l’Europe qui n’en finit pas de s’étirer depuis que nous avons quitté les canaux. Oui, je confirme, nous sommes encore, dans notre cœur, « de retour de Patagonie », en grande nostalgie des aventures, des paysages et de l’isolement (4). Pour moi, cette hâte d’en finir était pourtant teintée des joies anticipées des retrouvailles avec mes proches et de l’excitation d’un projet de permaculture en gestation. Pour Ariel, l’hypnose de la haute mer qu’il affectionne tant était un peu troublée par une incertitude sur l’avenir, car, même si l’idée d’écouter pousser les tomates lui sourit, il a encore envie de naviguer au long cours.
- Quarante et un jours là où nous en imaginions cinquante à soixante-dix Nos réserves de sécurité d’eau et de PQ sont intactes.
- Pour les amateurs de La Longue Route (Bernard Moitessier, 1968), notre complice à terre était Fanch, du voilier Chanik, pendant une parenthèse santé avant de boucler son tour du monde par les trois caps. Même si elle amoindrissait le merveilleux isolement de la haute mer, j’avoue combien cette « compagnie » sur l’eau et à terre a allégé mes inquiétudes lorsque des entrées d’eau suintantes ont résisté à nos investigations et à nos premières interventions (A tel point que nous avons révisé la check-liste d’évacuation du bateau au cas où). Ariel de son côté regrettait un peu la perte de la poésie de l’incertitude, le plaisir de suivre la situation météo par nos seuls moyens.
- Il reste encore quelques crus respectables pour fêter le retour dans l’espace Schengen, les derniers 1000 milles, et l’anniversaire d’Ariel.
- Cette nostalgie, nous la ressentons tous les deux, mais je suis aussi pour ma part toujours en récupération des tensions, toujours un peu inquiète de ce que le cosmos nous tient en réserve, des incidents que la vétusté de Skol pourrait encore provoquer. Combien de temps encore, me dis-je souvent, notre extraordinaire bonne étoile nous protègera-t’elle ?
Aaah ! j'étais à l'affût... si tu savais comme ça fait du bien de lire un récit bien écrit dans un langage "soutenu" comme on disait à l'école.
Reposez-vous bien !
Bonne chance pour la dernière étape : La Rochelle ?
Rédigé par : Flora | 09 juin 2019 à 14:18
Pour faire une butte productive et un jardin en permaculture, il faut quelques années pour que la terre travaille bien. Vous pourrez donc préparer la terre et repartir naviguer. Elle n’est pas belle la vie ?
Rédigé par : Cecil | 09 juin 2019 à 21:01
Au plaisir de vous revoir quand vous toucherez le continent. Nous serons là pour la saudade.
Rédigé par : Hughes | 10 juin 2019 à 14:47
Bonjour et toutes mes félicitations à Skol et son équipage pour ce magnifique voyage qui semble se terminer à merveille. C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu vos aventures.
Bon vent et belle mer
Rédigé par : Philippe de Mikeno | 10 juin 2019 à 18:13
Delicieuses chroniques de notre monde " bleu".
Love
Rédigé par : Georges et Anja | 10 juin 2019 à 18:15
@ Flora : quel compliment agréable, j’en rougis! Destination finale, pour boucler la boucle là où on l’a commencée, Locmiquelic, mais pas tout de suite.
@ Cecil : l’observation est très importante en permaculture, surtout au début, et ça, ça n’est pas compatible avec l’éloignement.
@ Hugues : Yess , à tout bientôt pour une soirée-souvenirs , hi! hi!
@ Philippe : C’est pas encore fini !
@ Georges et Anja : les bleus de la mer étaient magnifiques pendant cette traversée.
Rédigé par : isabelle | 10 juin 2019 à 18:29
Bravo, et bienvenu à l’endroit. Comme le passage derrière la lune,le silence radio lorsqu'il s'arrête fait du bien.
Bonne suite.
Rédigé par : jean-Marie | 10 juin 2019 à 18:50
Quel beau récit de retour, tout simplement raconté avec vos émotions du moment, vos souvenirs si proches de votre mémoire, vos petites inquiétudes sur l’état de santé de Skol, et les bonheurs bien mérités en les fêtant avec Bacchus et quelques millésimes au fond de la cale!...
Bon! Bon! Retour et au plaisir de vous rencontrer .
Rédigé par : Liliane et Andre | 11 juin 2019 à 18:13
@ Jean-Marie : On est allés si vite que personne n'a eu le temps de s'inquiéter ;-)
@ Liliane et André : encore un peu de patience, nous allons rester aux Açores quelques semaines avant de finir le voyage.
Rédigé par : isabelle | 11 juin 2019 à 18:16
Bravo pour cette belle traversée express ! Vous arrivez dans quel port ?
Rédigé par : Bruno | 12 juin 2019 à 20:28
@ Bruno : nous sommes à Vila do Porto, dans l'ile de Santa Maria, l'ile la plus à l'Est et la plus au Sud de l'archipel des Açores.
Rédigé par : isabelle | 12 juin 2019 à 23:37
Pour avoir eu le privilège de vous rencontrer "in vivo" ici à Santa Maria, Açores, nous pouvons confirmer à tous vos amis, famille et "suiveurs" que Skol et l'équipage sont en pleine forme, la cale pleine à ras bord d'histoires, de rencontres à relater. Mais aussi de projets concrets qui ne tarderont pas à germer.
Rédigé par : Cécile et Yves "La Curieuse" | 13 juin 2019 à 17:33
@ La Curieuse : j'espère que votre visite à la ferme permaculturelle et le repas ketogenique que nous avons préparé pour vous satisferont votre curiosité ! A demain!
Rédigé par : isabelle | 13 juin 2019 à 21:01