Ce qui les a réunis, c’est la navigation à voile. Ils se sont rencontrés à Durban quand Mike a voulu apprendre le yachting, alors qu’il travaillait depuis longtemps pour la marine marchande sud-africaine. Elle était skipper professionnelle de voiliers et gagnait sa vie en convoyant des bateaux neufs juste sortis de chantier et en enseignant la voile. Ce qui les a fait bouger, c’est un goût pour la grande navigation et l’envie de quitter une Afrique du Sud où les conditions de vie ne leur convenaient pas. Ils n’étaient pas enracinés bien profondément dans ces territoires. Leurs parents avaient émigré de l’Angleterre et de la Hollande, juste après la dernière guerre mondiale, à l’époque où les gouvernements encourageaient la colonisation des nouveaux pays des côtes est et sud du continent Africain. D’abord la Rhodésie du sud, comme ça se nommait à l’époque. Puis l’Afrique du sud, la grande puissance régionale. Quelques décennies plus tard, eux-mêmes ont procédé à la migration inverse, vers les froideurs de l’Angleterre (1), mais aussi vers des conditions de vie et d’emploi plus douces. Alors nous avons parfois du mal à les situer. Ni Anglais, ni Sud-Africain, parfois l’un, parfois l’autre, parfois les deux mélangés. Leur vision du monde est marquée au fer rouge de l’apartheid et de ses suites désastreuses, nous avons donc souvent du mal à échanger librement sur les questions sociales et politiques. Mais ces difficultés ont été surmontées, dans un effort mutuel de tolérance, pour faire ce que nous avions à faire ensemble, et au passage construire ce qui ressemble fort à une belle amitié.
Ce qui a transformé leur vie, c’est le parcours de diététicienne dans lequel Meme s’est engagée, à la recherche des solutions pour sa santé et celle de Mike. L’ampleur des études et les savoirs engrangés par cette femme infatigable et à la mémoire colossale est impressionnante. Elle peut parler des heures durant sur les questions allant du fonctionnement de l’intestin au métabolisme de la cellule humaine, citer les auteurs de référence en matière de médecine intégrative (2), pointer du doigt "toutes les matières et substances cancérigènes auxquelles nous exposent sans vergogne l’industrie et les gouvernements qui les laissent faire" et rappeler avec humour que si son époux "a dépassé de neuf ans déjà sa date officielle de péremption", ce n’est pas grâce à la chimiothérapie ! Petit à petit leur alimentation (3) a pris une place première dans leur vie, dans leur budget, et le retour de la santé a montré que c’était la bonne voie.
Ce qui les garde ensemble, aujourd’hui, et les a conduits aux Açores, c’est un projet de vie tout à fait différent, auquel rien ne les préparait à l’origine et pour lequel ils se sont formés ensemble. Une micro-ferme en permaculture . Trois ans après leur installation à Santa Maria, sur un petit terrain de deux acres, ils sont sur le point d’atteindre une relative autonomie alimentaire, en produisant eux-mêmes la nourriture saine dont ils ont besoin. En parallèle, Meme développe une clientèle locale et à distance pour ses conseils diététiques. La ruine qui trônait sur le terrain a été restaurée en une petite maison destinée à accueillir soit des vacanciers ordinaires que l’appel sonore des canards au petit matin ne fait pas reculer, soit des hôtes plus impliqués dans la ferme et en désir d’apprendre à s’alimenter anti-cancer. Par le plus grand des hasards, puisque la maison d’hôte était libre et que nous souhaitions pratiquer leur alimentation, nous avons été les premiers hôtes du second type, ce qui semble leur avoir permis de tester la formule, dans laquelle on se retrouve à cuisiner et manger ensemble.
Pendant que Meme s’occupe des plantes, depuis la graine jusqu’à la récolte, et des orientations diététiques, Mike ne se contente pas d’être le principal patient de sa femme. Il fournit jour après jour le support des cultures, du débroussaillage au compost et aux clôtures en passant par la serre et le système d’arrosage. Il résout avec génie les problèmes techniques qui se présentent en recyclant ici ses talents de Géo Trouvetout développés au long de sa carrière dans les navires de commerce puis dans les yachts de millionnaires. Le tout sans machine à part une petite tronçonneuse légère et une visseuse électrique. Son carnet de notes regorge de projets futurs : l’autonomie énergétique avec un accroissement prochain de la production solaire, l’autonomie en eau un peu plus loin à l’horizon. Son rêve, c’est ce qu’il appelle le « off-grid », le « débranchement » ; ne plus dépendre des réseaux de distribution publics (4). Il pourrait lui aussi ouvrir une consultation sur place ou en ligne, sur les solutions low-tech !
Un truc que nous avons particulièrement apprécié, c’est leur humour décapant. Entre les formules-choc ravageuses de Meme comme "Grain Inflames the Brain" (4) et les facéties de Mike, on a quand même bien rigolé.
- C’est à quelques centaines de milles de la fin de cette migration que nous les avons rencontrés, il y a bientôt six ans.
- Utilisation simultanée de médecine conventionnelle et de médecine alternative pour le traitement d’un patient.
- Dans « alimentation », elle compte les compléments alimentaires naturels et les huiles essentielles, selon nécessité.
- Mike prétend aussi vouloir se passer de voiture mais Meme refuse de lâcher prise sur ce point. Elle a encore besoin d’aller rendre visite à ses ami-e-s et faire les emplettes à la ville sans y passer la journée en charrette à cheval, et surtout, de disposer d’un moyen de se rendre de toute urgence à l’hôpital en cas de choc anaphylactique, qui reste une de ses fragilités et que l’alimentation ne peut enrayer, une fois déclaré.
- Qu’on pourrait traduire par « Le grain te donne un grain », slogan qui pointe le rôle inflammatoire et l’effet sur le cerveau des blés modernes.
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