Chiffonnée que le blog semble s'arrêter sur une note si prosaïque (Carnivores!) et me sentant redevable au lectorat d’une suite ou d’une fin à l’histoire fabuleuse que nous écrivons à deux depuis plus de douze ans, voici avec beaucoup de retard un éclairage sur l'étape que nous avons abordée à la fin de notre séjour aux Açores, en aout dernier.
C’est peut-être bien là que le voyage s’achève réellement. Dans le sentiment qui vient fébrilement: oui, un terrain comme ça me conviendrait. Parmi tous ceux que nous avons vus, c’est la première fois que je ressens ça. Ariel trouve qu’on est encore trop proche du village à son goût (1), et que c’est trop petit pour partager en deux. Deux hectares de pente faible, légèrement ondulée, adossée à un contrefort nettement plus pentu, presque trois hectares au total. Le tout orienté ouest avec un peu de sud. Une captation de la rivière assure l’approvisionnement en eau. Idéal ?
Ricardo le commercial de l’agence, nous a trimbalés auparavant sur plein de terrains inadaptés, mais s’est servi de ces visites perdues pour tester nos critères. Et puis, voyant que rien de ce qu’il avait en rayon ne convenait, il nous a donné accès à des morceaux de vraie terre de campagne, hors du circuit, les terrains qui ne se vendront normalement que par bouche à oreille, entre paysans. Des terrains qui hier encore n’étaient même pas vraiment en vente, mais qui pourraient le devenir puisque deux étrangers cherchent de la terre agricole. La visite se fait avec Eduardo, cousin de Ricardo et propriétaire de cette terre-là. Il est touchant, Eduardo mais c’est un sacré filou. Il nous montre avec ingénuité ces maigres plants espacés largement, plantés dans la bâche plastique, et fait semblant de nous faire croire qu’il cultive du poivron bio (2). Cela dit, c’est la première fois qu’on visite quelque chose en compagnie du propriétaire lui-même, qui répond à mes questions sur l’historique, les produits chimiques déversés épandus, l’ensoleillement, les voisins. J’ai moins la sensation d’acheter un « produit » sans âme, sans passé.
Puis Ricardo insiste pour nous montrer un autre petit truc, encore plus petit, vraiment trop petit, mais qui devrait nous plaire, dit-il. - C’est bien isolé et il y a des arbres ! - Bon allons-y !
C’est peut-être bien là que notre couple commence à se séparer pour de vrai. Dans l’idée qui émerge insidieusement: oui, un petit terrain comme celui-ci conviendrait à un ermite. Il est niché au fond de la vallée, entre les derniers pâturages et juste avant la forêt. Bordé d’arbres, longé par une rivière, les restes d’une laiterie abandonnée qui l’encombrent ne sont qu’un semi-handicap. Une partie pourrait être conservée comme serre, atelier, poulailler et même un logement pirate. Ce bout de terre donne sur une vaste et superbe pâture, avec comme arrière-plan la vallée et au loin la mer.
Je lance l’idée comme une plaisanterie: Et si Ariel achetait ce petit terrain et moi l’autre ? On se sépare sur l’éclat de rire gêné que provoque en moi le prix demandé par Eduardo, exorbitant pour du terrain classé « réserve agricole », et la permission de faire une offre, quand nous y aurons réfléchi.
Le lendemain, nous nous nous rendons à l'université, où nous avons rendez-vous avec un chercheur en sismologie spécialiste des glissements de terrain. Date convenue dix jours auparavant, alors que nous n’avions en portefeuille que des terrains plus verticaux qu’horizontaux. En une heure d’échanges de haut vol, l’affaire est entendue. Non seulement les conditions d’exploitation des pentes sévères qui nous inquiètent s’annoncent effectivement trop difficiles sur un sous-sol aussi instable que celui de cette ile volcanique pas très ancienne, mais en plus il nous explique que la vallée de Povoaçao, celle que nous avons visitée la veille, celle qui m'avait fait vibrer, était autrefois le grenier à blé de l’ile tant les conditions, la terre et le climat, y sont favorables à l’agriculture !
Beaucoup de questions restent ouvertes. Parviendrons-nous à négocier un prix correct ? Quels projets pour ces deux bouts d’ile, baignés d’un climat idéal mais si loin du continent ? Comment s’articuleront nos deux aventures ? Trouverons-nous les termes d’une coopération terrienne détendue, satisfaisant les besoins de chacun ?
- A propos de distance au village, le fameux isolement perdu au milieu de la nature sans lequel il ne saurait vivre, j’ai découvert que finalement ce n’est pas mon truc. J’avais toujours un petit pincement au cœur, moi, quand on arpentait les terrains trop loin de tout. J’ai envie de voisiner, de coopérer avec mon entourage.
- Une culture de légumes, ça ? Mon œil ! La seule chose qu’il cultive sur ce terrain, c’est de la subvention européenne ! Mais l’agricultrice en formation que je suis n’osera le taquiner que plus tard, au cours de la négociation.