Nous avions été prévenus. Les Glénan* en été ? C'est infernal ! Sauf peut-être fin août, ça se dégage un peu. Donc fin août. Nous voulions (re)-découvrir l'archipel, planter le casier à bestioles et surtout caréner sur une plage.
* au singulier pour les Iles de Glénan, au pluriel pour l’école des glénans.
Ariel n'y était jamais allé, dans ce célèbre archipel, mais il a chez lui depuis des lustres une vielle édition du "Cours des glénans", une édition qui fleure encore bon la rusticité des îles et la navigation à l'ancienne ( la navigation qui consiste à aligner le rocher X avec la tourelle Y et faire route jusqu'à croiser un autre alignement, qui indique le bon moment pour changer de direction afin d'éviter le rocher caché juste sous l'eau qui s'appelle "tête de mort" et qui n'est pas signalé sur place ni par une bouée, ni par une perche, mais aux Glénan, si on devait signaler tous les rochers dangereux par des perches, ça serait hérissé de perches partout ! ). Bref, pour lui, les Glénan c'est le lieu mythique de la meilleure école de voile au monde.
Pour ma part, je l'ai fréquenté de nombreuses fois, mais j'étais enfant. J'en garde le souvenir d'îles basses et pelées, sur lesquelles il n'y a rien à faire, après le tour du fort de l'île Cigogne et la visite des viviers de l'île St Nicolas. Le souvenir des plages de maërl, ces brisures de coquillages qui tiennent lieu de sable grossier, douloureux aux pieds et dans lequel on cherchait des petits coquillages. Le souvenir de pêches à pied aux grandes marées d'été, avec l’épuisette qu'on sortait de dessous les rochers chargée d'une poignée de crevettes bouquet et le seau bleu qu'on rapportait rempli à ras bord de moules sauvages. Le souvenir de mouillages forains avec peu de voisins. Pas tout à fait la solitude, non, mais un petit monde de familiers du coin, avec des petits voiliers. Comme nous.
Evidemment le coin avait changé avec les années. Les Glénan sont devenus une destination accessible à bien d'autres personnes que les voileux rustiques et familiers du coin.
Les voileux non rustiques : Il n'y a plus besoin d'être familier du coin pour s'y retrouver dans la complexité de ces dizaines d'îles et îlots, depuis que le GPS (système de positionnement par satellite) branché sur l'ordinateur donne la position du bateau sur la carte à tout moment. Rares sont les voiliers qui suivent encore les alignements, et nous avons même dû contourner des bateaux qui étaient à l'ancre exactement sur la route de l'alignement d'entrée, celui qui longe l'île de Penfret, et que nous suivions scrupuleusement pour la beauté du geste. Poser son ancre, arrêter son bateau, sur un alignement ? C'est quelque chose d'inconcevable pour moi. C'est comme stationner au milieu de la piste d’atterrissage d’un petit aérodrome, peut-être ? Et pourtant, l’alignement à 218° figure sur toutes les cartes, même les cartes électroniques. A quoi pense celui qui jette son ancre là ? Il s’en moque ou il ne comprend pas ?
Les mouillages moins sauvages : la densité de voiliers au mille carré est ahurissante. Chaque endroit où il est possible de mouiller est occupé de nombreux bateaux, et les abords les plus fréquentés (St Nicolas, Bananec) ont été aménagés avec des bouées d’amarrage fixes (corps-morts). On peut sans risque imaginer que les premiers corps-morts ont été installés par les autorités lorsque les marins maladroits ou indélicats ont commencé à ne plus se tenir à l'écart du chenal d'accès des ferries. Comme encombrer la voie réservée aux bus, peut-être ? Et pourtant le chenal des ferries est clairement signalé par des bouées vertes et rouges.
Les habitudes de terrien : S'amarrer au corps mort étant plus facile que jeter l'ancre et plus rassurant pour la nuit, il semble s'être développé une espèce de précipitation en seconde moitié d'après-midi, pour arriver pendant qu'il reste encore des corps-mort libres et nous avons même assisté à un drôle de ballet : ayant repéré qu'un équipage montre les comportements de préparation au départ, un ou deux voiliers commencent à lui tourner autour dans l'espoir de prendre sa place, le plus motivé allant même jusqu'à exercer une pression sans équivoque pour encourager un départ rapide. C’est comme faire le tour du quartier trois fois à la recherche d’une place libre, et clignoter pour signaler qu’on va prendre la place dès que quelqu’un entre dans sa voiture. Vous partez ? Non, je vérifie juste mon amarrage à la bouée !
Les non voileux : une seconde variété de visiteurs des Glénan, fort nombreux. Ils disposent d'un zodiac, d’un jet-ski ou d'une petite vedette qui permet de venir du continent le matin et repartir le soir. Autrefois, les Glénan, ça se "méritait", maintenant c'est "pique nique à Guiriden" quand ça nous chante. Et cela change terriblement la fréquentation des îles: avant la démocratisation de ces petites embarcations rapides, seule l'île St Nicolas était accessible aux non-voileux : accessible par le ferry. Désormais, toutes les plages de toutes les îles sont accessibles à une noria de petites embarcations qui viennent jeter l'ancre à une brasse du bord ou carrément se poser sur la plage pour descendre à pied sec. On débarque avec serviettes, parasol et glacière ... le tout donne une ambiance un peu "palavas les flots", bruyant, agité, pas toujours prudent.
Le commerce dans la réserve naturelle: le livre des instructions nautiques avertit le marin sachant lire « il n’y a aucun commerce sur aucune des îles, vous devez donc prévoir l’approvisionnement nécessaire pour la durée du séjour prévu » . Mais un commerce s’est développé. Pas sur les îles, non : a flot. Un service de livraison à bord, croissants, pain frais, recharge de gaz et autres denrées à la consommation pas totalement imprévisible. Ce commerce rend le séjour aux Glénan plus confortable, ce qui fait écho au changement de catégorie de visiteurs. Moins rustiques, ils apprécient ce genre d’entorse au concept de réserve naturelle.
Le lieu mythique et réservé aux initiés s’est donc transformé, petit à petit, en un espace de plages fort fréquentées. Est-ce un bien ? Est-ce à blâmer ? Et si oui, qui blâmer, sinon ceux-là même qui ont œuvré à la démocratisation de la mer ? Les années 60 à 80 ont vu émerger une voile démocratique, accessible financièrement mais nécessitant un apprentissage sérieux et une tolérance à la rusticité. Puis les années 80 à 2000 ont suivi dans la foulée, avec les équipements de confort et les instruments de navigation électroniques et par satellite. Depuis, c’est moins démocratique au sens économique du terme, car le prix des bateaux a sérieusement augmenté, mais c’est plus accessible au sens technique du terme, car l’exigence d’apprentissage préalable est moindre et la différence de style de vie avec la vie terrienne est réduite. Au point que les comportements terriens se transfèrent sur l’eau...
Bon d’accord les iles des Glenan sont blindés.
Mais maintenant l’espace est libre. Tout le monde regarde le sapin. Alors partez, et racontez moi de nouvelle navigation, publiez de nouvelles photos de Skol des photos de nouveau horizon allé allé allé.
XY
Ps : Superbe photo du couché de soleil au Glénan
Rédigé par : XY | 04 décembre 2011 à 20:04