L'étrave est pointée droit vers le phare de la Vieille depuis 10 bonne minutes mais le paysage ne cesse de glisser latéralement. Tout à l'heure, le sémaphore perché sur la hauteur du cap était visible sur la gauche du phare; il a glissé progressivement dans l'arrière plan, il est maintenant très à droite. Bientôt, c'est la tourelle de la Plate qui, elle, puisqu'elle est en avant-plan, va glisser devant le phare de la Vieille et se retrouver à gauche, toujours sans que notre cap ait changé. C'est une marche en crabe, à grande vitesse. Nous sommes dans le courant du Raz de Sein, réputé pour ses dangers lorsqu'il coule à l'encontre d'un vent puissant, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Mais même par beau temps, la vigilance est de rigueur, de grandes "marmites" tourbillonnnent non loin, et en l'absence de vent, le moteur s'impose : il ne faut pas trainer dans ce coin plus que nécessaire.
Une question nous agite quelques minutes à propos de la place du GPS dans une telle navigation. Le suivi de la navigation à l'ancienne est possible, en faisant le point toutes les 5 minutes et en surveillant par exemple à quel moment exact le sémaphore et la Vieille sont alignés, ou toute autre configuration géométrique remarquable. Donc on peut savoir où on est à tout moment. Mais lorsqu'il s'agit de donner une consigne de route au barreur, la gymnastique est très aproximative car il faut estimer l'angle de la marche en crabe pour que la consigne ressemble à quelque chose comme : "faire route au cap 100, mais en tenant compte de probablement 30 ou 40 degrés de glissement vers le sud à cause du courant". le barrreur dirige alors le nez du bateau au cap 60 ou 70 en vérifiant que le courant est bien de la force estimée. Cet exercice demande beaucoup de savoir faire dans l'estimation (pour le navigateur) et dans l'interprétation de l'estimation (pour le barreur). De nos jours, il y a plus simple: le GPS capte à chaque seconde la position exacte du bateau et calcule et affiche la route réelle suivie, c'est à dire la vraie direction de la marche en crabe. Le navigateur peut donc donner au barreur le cap vrai à suivre et le barreur garde un oeil rivé sur le GPS pour ajuster sa route, en complément à son pifomètre* pour piloter le crabe.
* Pifomètre: l'observation permanente de la situation réelle reste de mise en toutes circonstances, en navigation aux instrument autant qu'en navigation à l'ancienne.
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