En quittant Lorient, nous avons fait l'impasse sur l'arrêt au poste à carburant, sur la base d'une sensation partagée que nos réserves étaient confortables*. Mais une navigation entre deux coups de vent et entre deux abris, avec panne de vent de plusieurs heures au milieu et courant contraire à la fin nous ayant conduits à faire tourner le moteur de nombreuses heures, nous nous sommes posés la question plus méthodiquement: où en sommes-nous de nos réserves?
Un premier calcul rapide, sur la base des heures d'utilisation du moteur, nous tranquillise. Et puis nous réalisons que Mister Taylors, notre sympathique poêle, qui prélève également sur le réservoir principal de carburant, a beaucoup tourné lui aussi ces derniers temps. Le calcul est un peu plus long car il faut reprendre le journal de bord et relever les heures d'allumage et d'extinction du chauffage depuis le mois de décembre, totaliser, avant de multiplier par la consommation horaire. Ce second calcul fait apparaître que nous avons beaucoup consommé**. La météo, elle, laisse entendre que notre prochaine navigation sera également entre deux coups de vent et avec des horaires de marée pointus***. Et la rivière dans laquelle nous sommes n'a pas de poste à carburant sur quai. Nous pourrions attendre l'accalmie et aller au ponton avec notre jerrycan de 10 litres jusqu'à la station à terre, un peu plus loin, mais finalement, nous préférons la jouer rustique : restriction de chauffage.
Nous prenons cette restriction avec le sourire, comme une péripétie intéressante, voire amusante et il nous revient alors que les récits de voyages de voiliers en Patagonie ou en Alaska mentionnent souvent cette accommodation des équipages au froid et le fait que 14 ou 15 degrés dans la cabine au quotidien, c'est tout à fait vivable. Nous avons nous-mêmes déjà connu des petits matins à bord où la température était inférieure à 10 degrés au réveil et où nous n'avions pas toujours envie d'allumer le chauffage avant le petit déjeuner, lorsque la promesse de rayons de soleil frappant l'habitacle à travers tous nos hublots était évidente. Ces matins-là, il pouvait même y avoir du givre à l'intérieur du bateau, sur l'armature métallique des hublots de pont, ou même de petites stalactites accochées à des têtes de rivets métalliques, des histoires de "pont" thermique.
Mais aujourd'hui, il ne faut pas compter sur l'effet de serre sur les hublots car dehors c'est tempête, vent, nuages et pluie sans discontinuer, et nous devons bien nous emmitoufler: double paire de chaussettes, cols roulés, polaires, plaid sur les épaules, et même les mitaines pour taper au clavier le projet de texte de l'abécédaire pour la lettre W : "Winch", à paraître prochainement. Vous avez dit maso ?
Précisions techniques :
* Notre réservoir à carburant n'est pas équipé d'une jauge de niveau. Il faut pourtant suivre avec soin la consommation de Gaz-Oil, car la panne de carburant serait à la fois un risque sécurité et un soucis de désamorçage du moteur diesel. Nous avons donc pris l'habitude de surveiller le nombre d'heures de fonctionnement du moteur (horamêtre moteur) et de nous baser sur une estimation de la consommation horaire moyenne (les moteurs de bateau consomment des litres par heure et non pas des litres aux cent kilomètres). Cette méthode nous a permis de ne jamais tomber en panne de carburant. Il faut dire que 1 litre à l'heure de consommation, pour 120 litres de réservoir à carburant et une pratique du moteur très parcimonieuse, ça laisse de la marge. Nous avons ainsi petit à petit développé tous les deux un sens approximatif de l'état de nos réserves de Gas-Oil en fonction de notre utilisation du moteur.
**Attentive à ne pas rater le total d'heures de fonctionnement, je ne me suis pas rendue compte que le chiffre de consommation du poêle que j'utilisais était totalement erroné (presque trois fois supérieure à la réalité). En fait, il nous restait plus ou moins 50 litres.
*** Pendant la navigation en question, une angoisse nous prend : sommes-nous certains de la capacité totale du réservoir ? Nous nous sommes toujours basés sur les 120 litres annoncés par les plans, mais rien ne nous assure que le réservoir a été construit conformément aux plans. Nous épluchons l'historique des pleins dans le journal de bord et constatons que nous n'avons jamais mis plus de 100 litres en une seule fois. Il nous reste 25 litres sur la base d'une capacité du réservoir de 120 litres, mais seulement 5 litres sur la base du dernier plein, celui de décembre. Arrggghhhh !!! Mais pourquoi donc n'ai-je pas mesuré le réservoir pendant qu'il était à l'air libre lors du chantier ?????? C'est à ce moment-là que nous vérifions tous les calculs, consultons la documentation du chauffage pour vérifier sa consommation maximale et constatons mon erreur. Du coup, on va bricoler une jauge externe qu'on plongera dans le réservoir, par l'orifice de remplissage, lors des prochains pleins.
Image d'archive : Formation de givre sur l'armature du capot de pont alors même que nous vivons à bord, pendant un hiver précédent.
Commentaires