Une petite Palangre à Lieu, achetée au mois de mai, en Manche – et qui n’a rien donné faute de l’avoir utilisée correctement - ressemble diablement à ce que je vois accroché aux cotés des petits bateaux de pêche d’ici. En plus petit mais le même aspect, des bouts de tuyau rouge cachant chacun un hameçon. Je crains un peu pour la solidité de ma ligne si ça mord, mais nous faisons les choses sérieusement : arrêt moteur pour dériver avec le courant juste au dessus d’une zone propice et balancement vertical du bras, comme j’ai vu faire. En dix minutes, les quatre hameçons remonteront avec chacun sa prise, trois lieus noirs et une morue conséquente, qui nous fourniront les protéines pour six repas pour deux personnes, donc trois repas sont mis en bocal et stérilisés, pour plus tard. Avec les lieus nous faisons un curry de poisson pour le lendemain, mais avec les morceaux de morue qui ne sont pas partis dans la conserverie d’à bord, nous avons envie d’un « Fish & Chips », ce plat populaire goûteux et terriblement gras qu’on trouve en take-away ou sur un coin de table de pub dans tout l’empire britannique. C’est un petit défi car nous ne pratiquons jamais la friture à bord, à cause des projections. Mais l’envie est trop forte, nous dénichons dans l’ordinateur du bord une recette de pâte à frire et réfléchissons à la gamelle qui sera la mieux adaptée à cet exercice périlleux. Un vrai régal, savouré dans le cockpit pendant la traversée du Vestfjord.
La Morue s’appelle Cabillaud quand elle est commercialisée en France, en filets épais d’un blanc éclatant chez le poissonnier ou en parallélépipèdes rectangles chez votre fournisseur de surgelés habituels. Elle s’appelle Baccalau au Portugal, où elle fait partie des plats traditionnels, péchée sur les grands bancs de Terre-Neuve et également importée des Lofoten. Elle s’appelle Cod dans les pays anglophones, amateurs de fish & chips. Elle s’appelle ici Torsk, se pèche principalement pendant l’hiver à son maximum d’abondance, dans des conditions autrefois épouvantables et aujourd’hui encore si pénibles que les Norvégiens, désormais prospères, rechignent un peu à l’ouvrage et accueillent chaque année de nombreux travailleurs étrangers, notamment des Européens de l’Est, travailleurs acharnés, attirés par l’excellent rendement économique de l’effort. On peut gagner ici en trois mois de campagne de quoi vivre le reste de l’année. La pénibilité du travail est due au froid, au sel, mais aussi et surtout aux cadences de pêche car ici, en hiver, le poisson est si abondant qu’il mord à la chaîne et que les pêcheurs sont asservis à la ligne automatique qui sonne et remonte le poisson en continu. Pour combien de temps encore ?
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