On aborde un rivage nouveau avec son expérience de rivages précédents, alors qu’il faudrait partir de zéro à chaque fois. Notre imagination se représentait les fjords comme des bras de mer avec une entrée et un fond. Simple. La réalité est beaucoup plus compliquée, des fjords débouchent dans d’autres, qui eux-mêmes ne donnent pas forcément sur la mer, l’entrée est souvent multiple, à travers un réseau d’îles et de massifs de roches plus ou moins émergées. Chaque fjord est un système complexe de vents et de courants qu’il faudrait prendre le temps d’étudier, d’approcher progressivement, individuellement, avant de prétendre prendre des décisions par gros temps. Faute de ce temps d’approche et d’étude des instructions nautiques, on risque de les considérer sur la base de leur topographie brute et de croire pouvoir s’abriter du vent derrière telle île, pour pouvoir avancer vers tel abri sur une route protégée de la mer. On risque de se tromper sévèrement dans cette approche simpliste.
Alors que nous croyions approcher de l’abri du port de Kristiansund où nous cherchions refuge pour échapper à un vent fraîchissant et une mer agitée grossissante… un peu plus que ce que la prévision météo avait annoncé, nous n’avons lu les instructions nautiques qu’une fois engagés dans un choix de route enfermant. Mais heureusement que nous les avons lues, car elles nous ont permis de comprendre ce qui nous arrivait lorsque, à la renverse de marée, les vagues que nous espérions voir diminuer ont au contraire grossi en taille, en escarpement et en désordre. Phénomène présenté comme dangereux pour tous les navires s’engageant dans le passage nommé Gripholen et balisé par le phare de l’île de Grip. Quelques heures de bagarre plus loin, une fois amarrés au ponton, nous méditons sur le potentiel de risque de la situation que nous venons de traverser (en cas de panne moteur au plus mauvais moment, par exemple) et sur le fait que l’option de faire demi-tour, et de chercher refuge à Trondheim, qui est sous le vent, quitte à perdre une journée entière de navigation durement gagnée contre le vent, aurait peut-être due être examinée plus sérieusement.
Quelques jours plus tard, face à une brusque poussée de rafales à la sortie du Karmsund, alors que nous pointions l’étrave vers Calais, nous avons rapidement accepté l’invitation à faire demi-tour et aller nous réfugier à Stavanger. Bien nous en a pris, nous avons observé pendant ce repli stratégique de petites déchirures dans la grand-voile qu’il a été possible de réparer avant de reprendre la mer.
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