Le projecteur de cinéma - 2m, 120kg - ne rentrera pas dans le bateau. Un des corollaires de l’emménagement à bord est le renoncement. Ariel ne pourra pas embarquer sa stupéfiante collection de machines de montage et projection, élément essentiel de son cadre de vie depuis plusieurs décennies, et qui m’a fascinée quand j’ai découvert son appartement strasbourgeois il y a 7 ans. Nous allons faire une place dans le garage de la maison d’Orsay et en laisser dormir quelques-unes dans le noir pendant notre voyage, attendant notre retour pour retrouver la lumière. Les autres seront confiées ou données à des amis, à un musée.
Au fur et à mesure qu’il fait ses cartons, Ariel inventorie les autres « choses » qui vont lui manquer. Ses cristaux, cailloux et fossiles. Ses films et cassettes sur bandes, ses outils video qui valaient une fortune, il y a 15 ans a peine, et qui ne valent plus rien aujourd’hui. Les plantes en pot qui se trouvent si bien chez lui qu’elles en atteignent le plafond. Ses livres et journaux papier, sa baignoire, ses confortables sièges de bureau, les montagnes de papiers et courriers accumulés au cours des années et qu’il faut maintenant trier et jeter. Sa Titine, fidèle AX déglinguée mais qui vient encore de passer le contrôle technique avec succès. Son frigo et ce qu’il y a dedans, car notre régime alimentaire va devoir changer au fil des escales.
La séparation matérielle la plus pénible pour moi est celle d’avec ma collection de bandes dessinées. A la grande surprise de mes enfants[1] j’ai vendu quelques séries, en commençant par celles auxquelles j’étais le moins attachée. Ces premières ventes se sont déroulées rapidement et sereinement. Mais très vite, j’ai commencé à grincer des dents devant les tentatives de négociation des acheteurs et j’ai finalement protesté : si c’est à ce prix-là que vous les voulez, et bien je vais les garder. Nous allons donc encombrer de caisses de livres et BD les combles de la maison.
Après les BD, d’autres choses vont me manquer, parmi lesquelles une collection de tasses à saké et de petits objets en bois, ma machine à coudre dont je profite encore un peu. Quelques unes de mes tenues chic, le contenu de mon tiroir secret, témoignage d’une période de ma vie pendant laquelle j'ai beaucoup appris sur moi-même et rencontré des personnes "à la marge". La seconde guitare, celle qui a les cordes en nylon, que nous n’emportons pas parce qu’une guitare et un Djembé à bord, ça prend déjà beaucoup de place ! Ma porcelaine-blanche-de-tous-les-jours, un peu dépareillée et la grande baignoire toute neuve que je viens seulement d’installer dans ma salle de bain. Certaines oeuvres de mes enfants, qui me touchent pour leurs couleurs et qui avaient leur place dans mon environnement quotidien.
Chacun de son coté, chacun à son rythme, nous gravissons la montagne des décisions à prendre, des choix à faire. L’illusion qu’on allait pouvoir aisément quitter les choses s’estompe, la tentation de tout garder grandit. Entre les deux, un dosage à trouver, rendu possible par le fait que nous conservons l’usage du garage et d’une pièce, dans la maison qui sera louée à d’autres occupants. Confort pour moi de disposer d’une base arrière qui rend le départ moins vertigineux, tandis qu’Ariel renonce à son propre chez-lui de locataire et va bientôt quitter définitivement les murs dans lesquels il a vécu 20 ans.
[1] Tu vends tes BD ? Eh ben, ça devient sérieux, cette histoire de voyage ! a dit mon fils.