Nous entrons dans la salle d’audience vide et solennelle, vide hormis, à l’autre bout, la greffière qui nous attend, lunettes sur le nez, derrière son ordinateur et une pile de dossiers. Elle dégage une tranquillité agréable, à l’image de sa voix douce, que nous avons déjà entendue au téléphone, lors de la prise de rendez-vous. Pendant qu’elle vérifie nos pièces et enregistre nos identités, un petit bavardage s’installe. Nous plaisantons sur le statut de cet enregistrement « c’est un contrat économique, en fait », sur l’absence d’audience, le vide de cette grande salle, « mais vous savez, parfois le couple est attendu à la sortie du tribunal par une assemblée joyeuse, de la musique, des banderolles », et nous plaisantons sur le titre de la greffière, parce qu’elle signe le greffier en souvenir d’une période où la greffière était en fait l’épouse du greffier, ce qui a donné lieu à de fréquentes moqueries de la part des avocats à l’égard des premières femmes greffiers.
Quand nous lui expliquons que nous partons bientôt en voyage, pour trois ans, son regard se voile, elle évoque d’un mot son époux défunt, et nous encourage chaleureusement, « profitez, profitez, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve …. » . Refusant qu’on la prenne en photo, elle insiste au contraire pour nous photographier, nous, sous l’effigie de Marianne. Et pourquoi pas ?
Cette démarche[1] faisait partie des préparatifs du départ, une manière d’apaiser, par un garde fou administratif, certains de nos vertiges, une manière de nous encorder l’un à l’autre avant de larguer les amarres…