On cherchait la forêt primaire, ou plutôt tertiaire, la Laurisylve, que l’on savait drapée dans les brumes permanentes des hauteurs de La Gomera. On a effectivement trouvé la brume, mais déchirée par la silhouette noire de troncs et branches carbonisées. Un incendie d’origine criminelle a ravagé la moitié de l’île, il y a quelques années. Un départ de feu pendant une année sèche, et la topographie accidentée a fait le reste : couloirs à courants d’air pour propager les flammes et escarpements vertigineux pour empêcher toute entreprise d’extinction. La beauté tragique(1) de ce paysage en cours de reconstitution n’a pas réussi à atténuer notre déception. C’était en grande partie pour elle que nous avions choisi La Gomera parmi toutes les Canaries, comme nous avions choisi, il y a 6 ans, de faire un arrêt à Sao Jorge, la seule île des Açores à avoir préservé un bout de forêt primaire, pour satisfaire ma passion pour les forêts ancestrales et comme contrepoint au fâcheux manque d’arbres en pleine mer (2).
Nous voilà donc un peu idiots, frustrés de ne pas avoir pris plus de temps pour choisir notre lieu de grande randonnée et de ne plus avoir de temps pour explorer d’autres parties de l’île. Car l’Afrique nous attend. Nous regrettons aussi de ne prendre le temps de découvrir qui étaient ces Guanches, peuple à peau claire qui occupait les îles avant l’arrivée des envahisseurs européens, lesquels ne leur ont laissé aucune chance. Pourtant, ce devaient être des gens intéressants et travailleurs, au vu de l’extraordinaire travail de construction de terrasses de culture dont les lignes horizontales hachurent le paysage jusque dans des espaces improbables tant ils sont pentus. Des gens créatifs qui ont inventé un langage sifflé pour pouvoir communiquer d’une vallée à l’autre, par dessus les gouffres. Un curieux peuple aussi, qui, bien que vivant dans des îles et proche des eaux les plus poissonneuses du monde, n’avaient pas de bateaux ni de tradition de pêche. Les archéologues commencent semble-t’il seulement à s’y intéresser, mais le commerce fait déjà son affaire de l’existence de ce peuple aborigène et la compagnie d’autocars de l’île s’appelle GuaguaGomera(3) en leur mémoire.
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(1) le tragique ici n'est pas seulement le brûlé, mais aussi le fait que nous savions que cette forêt est très ancienne et classée au patrimoine mondial.
(2) un dicton affirme que le meilleur remède contre le mal de mer est de s'asseoir sous un pommier en fleurs.
(3) une compagnie qui, pour le prix modique d'un transport interurbain de 50km vous offre des sensations plus décoiffantes que ne saurait le faire un parc à thème. Vertige et souffle coupé garantis.
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