Après un mois et demi de vie au Sénégal, nous trébuchions encore sur nos schémas urbains et occidentaux. La vie au jour le jour en brousse (1) pose des problèmes que nous ne souhaitions pas résoudre à l’occidentale et pour lesquels nous n’avions pas encore de solution locale.
Prenez l’eau potable, par exemple. Jusqu’à La Gomera, il suffisait de s’amarrer de temps en temps à un ponton pour faire le plein de notre réservoir avec un tuyau. 20 minutes pour 120 litres. A Dakar, plus de ponton ; le robinet du Cercle de Voile de Dakar acceptait, à certaines heures de la journée, de remplir nos bidons d’une eau filtrée au goût douteux mais bactériologiquement potable (2), bidons que nous pouvions ensuite rapporter au bateau en annexe et verser dans le réservoir. 2 heures pour 60 litres. Ou bien prendre 2 bidons à chaque fois qu’on allait à terre pour une autre raison, afin d’étaler la consommation de la journée.
En arrivant ici, dans le delta du Saloum, nous savons bien que l’eau sera difficile d’accès mais nous n’avons aucune idée de la manière d’y accéder. On se promène donc plusieurs jours avec deux bidons pliables dans nos sacs, sans certitude et parfois sans succès. A Djifer, un notable (Ibrahim) ayant entendu notre question, posée à la cantonade dans la rue, s’empresse de nous donner accès à son robinet privatif. 20 litres d’une eau délicieuse obtenus par hasard. Djifer est sur le continent et dispose d’un approvisionnement en eau « courante ». A Dionouar, qui se trouve sur l'île de Guior, échec : les puits municipaux semblent presque vides et nous n’osons nous y servir pour ne pas priver les villageois de leur précieuse ressource. Plus tard, nous apprendrons qu’elle est d’ailleurs légèrement saumâtre, car la saison des pluies est un peu en retard. A Gokhor, sur la même île, le gardien du camp de tourisme semi abandonné prétend ne pas avoir d’eau du tout et un couple d’expatriés installés sur les rives du bolong (3) met à notre disposition 90 litres d’une eau tirée de leur puits, que nous ne parviendrons pas à rendre potable (4). Elle servira à un grand nettoyage du bateau et du linge et le solde alimentera la douche solaire pour le délicieux rinçage d’après baignade, car l’eau des bolongs est fort salée.
Mais notre problème n’est pas résolu. De retour à Djifer, nous retournons voir Ibrahim qui non seulement nous ouvre de nouveau son robinet, pour 50 litres cette fois, mais nous donne aussi la clé d’accès à l’eau municipale : horaire et prix approximatif de l’eau à la fontaine publique. Ouf ! Voilà donc un soucis de moins, qui nous a turlupinés durant presque 10 jours.
Les solutions occidentales à ce problème d’accès à l’eau dans le Saloum sont, quand on navigue en voilier : un désalinisateur et de grands réservoirs - et quand on vit à terre dans une maison « toubab » : un taxi-brousse régulier vers le centre urbain le plus proche, pour approvisionner les bouteilles de 10 litres d’eau de source nationale en vastes quantités. Nous n’avons ni les moyens ni l’envie de l’une ni de l’autre. Et à notre grande surprise, la saison des pluies, sur laquelle nous comptions, est encore loin de fournir de quoi collecter de l’eau à boire, car la pluie est chargée de poussières et ne tombe pas assez longtemps ni assez abondamment pour cela.
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1 - « En brousse » signifie loin des grandes villes. Chez nous on dirait « à la campagne ».
2 - Nous avons osé boire, dès le second jour, une eau non scellée dans un boui-boui et n'en avons subi aucune conséquence de type "tourista", ce qui laisse à penser que la situation bacteriologique de l'eau du robinet s'est améliorée ou bien que nos intestins étaient déjà résistants. Cela dit, en cours de journée on achète a tous les coins de rue, dans les boutiques et même a des vendeurs ambulants par la fenêtre du bus coincé dans les bouchons des sachets d'eau scelée pour quelques centimes.
3 - Les Bolongs ou Marigots sont les nombreux bras du Delta, dans lesquels nous entrons à tâtons, car ils sont mal cartographiés, voire pas du tout. Plaisir de jouer les découvreurs – cartographes !
4 - Malgré les conseils prodigués par Tinemar, grâce à la communication par SMS. L’eau était sans doute bactériologiquement buvable mais gustativement infecte.
Merci pour ces belles lignes. Du confort de notre Europe, je vous regarde avec admiration mêlée d'un peu de crainte vivre votre aventure.. Aurais-je le courage de rompre avec le confort de notre belle France?? Pas sûr..
Je me fais du souci, un peu, à cause de ce virus Ebola qui circule et se répand pas loin du Sénégal...Prenez soin de vous..
Bisous
Rédigé par : Sylvie | 30 juillet 2014 à 16:53
Merci Sylvie. Rompre avec le confort, oui. Confort physique et confort psychologique. Ça fait partie de notre idée de la "décroissance", depuis pas mal d'années je m'y prépare. Et même préparée, il y a des adaptations douloureuses. Mais on y vient, on trouve nos marques! Bises a toi et Jérôme.
Rédigé par : Isabelle | 09 août 2014 à 13:29