Depuis 4 semaines, au mouillage en face de la plage de Hann, nous sommes sous leur regard autant qu’ils sont sous le nôtre. La plaisance et la pêche, deux univers étrangers bien que partageant la fréquentation quotidienne de la mer et du vent. Je les observe nous observer et je nous vois les observant, champ contre champ, frôlements, contacts brefs, pas encore de vraies rencontres, mais déjà l’émotion de voir dans leurs gestes, leur équipements et les scènes qu’ils nous donnent à voir, sur l’eau et sur la plage, la matérialité de ce que j’étudie dans les livres depuis des mois.
Ils nous observent depuis leurs pirogues, en passant tout près du bateau, si près qu’on croirait qu’ils veulent voir à l’intérieur, discrètement. Trois coups de pagaie de chaque coté, mais le regard vissé sur Skol. Nous les observons en retour quand ils passent ou quand ils pêchent ici, à 10 mètres. Nous les observons discrètement à l’abri de nos hublots fumés, ou plus ouvertement depuis le cockpit. Quand nos regards se croisent, nous nous saluons et échangeons quelques mots. Sur la pêche du jour, sur la chaleur écrasante qui rend le jeûne (1) si difficile. Ils savent que nous n’achetons pas directement la pêche des petites pirogues et ont cessé de nous proposer en passant les produits que nous leur suggérons de garder pour nourrir leur famille (2). Ils savent qu’il y a un djembé et une guitare à bord, pour avoir ramé en nous écoutant. J’ai même hésité, tout à l’heure, à sortir le tamtam pour cadencer le relevage de filet que l’équipage d’une grande pirogue rythmait en chantant, à portée de voix. Ils savent que nous admirons ceux qui sortent à la voile, ils savent que nous respectons leur labeur. Ils savent aussi qu’Ariel ne donne jamais d’argent pour les photos qu’il désire prendre, avec leur permission.
Ils nous observent depuis la plage de leurs centaines d’yeux qui n’ignorent rien de ce qui se passe dans leurs eaux. Ils demandent combien de temps nous avons mis à venir de France et pourquoi nous n’avons pas de frigo à bord. Nous les observons, nous aussi, lorsque nous débarquons ou lorsque nous longeons leur atelier – chantier – campement en revenant du marché par la plage. Lorsque nos regards se croisent, nous échangeons les salutations rituelles et quelques mots en wolof. Nous nous demandons pourquoi ils sont si rares à utiliser la voile, en complément de la pagaie et jamais en complément du moteur (3), et s’ils accepteraient d’emmener deux xonk nopp (4) un jour à la pêche dans une des grandes pirogues qui sortent à la journée. Nous nous demandons pourquoi ils pêchent et commercialisent des langoustes si jeunes au risque d’éradiquer l’espèce et comment ils réfléchissent aux excédents chroniques de leur pêche qui finissent le ventre à l’air et sur la plage. Mais l’heure n’est pas venue de poser ces questions, car elles engageraient un échange de longue portée, à épisodes multiples. Or, nous venons juste de recevoir notre sésame douanier, la clef pour partir plus au Sud, à la rencontre de leurs confrères pêcheurs du Delta du Saloum.
1) Ma pratique du jeûne est récente et différente de la leur, mais nous aide énormément à comprendre ce qu’ils vivent pendant le Ramadan et à en parler avec eux.
2) Alors même que nous hésitons à consommer ce qui a été pêché dans la rade de Dakar, si polluée, préférant les poissons que nous croyons venus de plus loin. Mais quelle garantie avons-nous ? Ils pêchent même de la lotte à Gorée, à quelques encablures d’ici !
3) Avec deux moteurs, impossible de tomber en panne ! nous a répondu l’un d’eux. Mais le prix du carburant réduit le bénéfice à partager entre les membres de l’équipage.
4) Ariel les amuse beaucoup en utilisant cette expression, littéralement « oreilles rouges » pour se désigner lui-même, car c’est une expression que les touristes, en principe, ne connaissent pas. Un peu comme le gavacio espagnol.
Merci pour ces récits colorés...
Très heureuse que la situation se soit enfin débloquée avec les douanes.
Tenez nous au courant de la suite..
Bisous
Sylvie
Rédigé par : Sylvie | 09 juillet 2014 à 15:04