May ma xalis ! – Donne-moi de l’argent ! disent parfois littéralement les indigents en tendant la main. Il est souvent déchirant et parfois impossible de refuser de donner, tant leur misère est évidente et profonde. Infirmes, vieillards sans ressources, malades mentaux, enfants condamnés au ramassage de bouts de ferraille ou aux claques du père. Tous ces désespérés que notre société européenne tente de cacher au regard de l’homme ordinaire. Nous donnons rarement, une piécette. La plupart du temps nous saluons simplement et Ariel trouve les mots pour nous excuser auprès de la personne qui mendie de ne pas être en mesure de résoudre sa misère ni la misère générale de ce pays et lui souhaiter néanmoins une belle journée. J’admire le soin que mon homme met à ne pas détourner le regard de cette cour des miracles et je sais combien ça le fait souffrir et fulminer contre l’humanité toute entière, qui sait si mal répartir les ressources de la planète. Il n’était pas préparé à ce degré-là de pauvreté, ou à cette proximité-là avec elle. J’y étais un peu plus préparée pour avoir lu énormément, dans le cadre de mon projet de thèse, mais j’en suis déchirée tout de même. Mais aussi, quel besoin avons-nous d’alourdir notre choc de l’acclimatation en choisissant de marcher ou de prendre le bus au lieu de nous réfugier systématiquement dans un taxi comme tout le monde ? (1). Pourtant, nous apprécions la marche à pas lents dans les quartiers pauvres et les longues attentes des bus, attentes suivies d’interminables trajets dans les bouchons, assommés de chaleur mais proches des vrais gens. Nous nous y sentons mieux, à notre place, participant à l’effort collectif de compression des corps pour accueillir les nouveaux entrants, prenant place dans la chaîne qui transmet les pièces dans un sens et le ticket dans l’autre, car il semble que tous les usagers du bus mettent un point d’honneur à payer leur écot. (2)
Le quémandeur est parfois un homme ou une femme dans la fleur de l’âge, doté(e) de membres en bon état et d’un cerveau à peu près opérationnel. Ainsi de l’un qui raconte qu’il n’a pas mangé depuis la veille, mais qu’on recroise une heure plus tard les bras chargés d’une caisse de poissons issus d’un des circuits du marché aux poissons, le circuit de la charité, très informel et paradoxalement très organisé. Ou de l’autre qui se dit malade et demande de l’argent pour la consultation et les médicaments et qui a passé effectivement la nuit sur la plage à vomir une bonne cuite au gin. Ces deux-là et quelques autres résidents de la plage ne laissent pratiquement pas passer une journée sans solliciter Ariel pour un café, une pièce, un tee-shirt, on lui a même demandé sa montre ! Ils nous « invitent » à prendre une bière mais on sait bien qu’il s’agit plutôt que nous leur payions la bière en question. Ils nous invitent à partager leur barbecue de sardines, mais on se demande combien le dîner nous coûterait en obligations ultérieures. Ils se déclarent nos amis et affirment du même trait qu’en tant qu’amis nous leur devons des cadeaux. Tiens donc.
Certaines de nos dépenses sont grossièrement augmentées par la couleur de notre peau, malgré notre patience qui permet pourtant souvent de réduire l’écart entre le prix normal et le prix « toubab ». Taxi, fruits et légumes, poisson au marché, repas au restaurant de rue, marchandises et prestations dont le prix n’est pas affiché.
Mais tout ceci, bien que quotidien et donc oppressant, n’est pas bien méchant.
Il y a des tentatives d’extorsion plus élaborées, plus construites en apparence mais tellement grossières ! Cette femme (3) à qui nous avons seulement acheté 6 œufs la veille nous approche ainsi un après-midi avec quelques pages photocopiées évoquant un devis de consultation médicale pour un total d’un million de francs CFA. Rien que ça ! Il s’agirait d’une vague jeune femme habitant le quartier d’à côté, qui serait dans le besoin. Une collecte de solidarité qui, curieusement, ne s’adresse qu’à nous. Il n’est, bien entendu, pas question pour nous de tomber dans un tel panneau, qu’on qualifie en France d’arnaque pure et simple et nous le disons très franchement à la dame, même si elle repousse l’accusation d’arnaque d’une excuse floue.
Et enfin, deux postes budgétaires ont surgi ou gonflé de manière dramatique et à notre grande surprise : les frais de mouillage et les frais de formalités administratives. Notre présence ici a Dakar est facturée sous le titre de « cotisation au club » quasiment au prix d’une place au ponton en hiver à Locmiquelic et notre séjour, malheureusement, s'est prolongé, du fait du flou qui entourait le durcissement des règles d’importation temporaire du bateau, flou qui nous a semblé parfois entretenu par le personnel du club (4). Le coût des formalités administratives concernant le bateau a tout simplement été multiplié par 30! Ca ressemble diablement à une taxe de séjour déguisée qui nous est infligée en toute opacité (5), et dont le montant, lorsque nous protestons, est mis en regard de la valeur de notre bateau sans référence à ce qui était annoncé avant notre arrivée.
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1 – Comme tous ceux qui ont les moyens de dépenser 2 000 CFA de taxi au lieu de 300 CFA de bus.
2 - Et ceux-là ne demandent rien aux Blancs qui les côtoient de si près. Au contraire, elles me donnent des conseils pour nouer mon foulard sur la tête et ils rient aux provocations verbales d’Ariel.
3 – Il s’agit, pour ceux qui ont fréquenté ou prévoient de fréquenter prochainement le Cercle de Voile de Dakar de la dame qui se fait appeler Mamma Légumes. Déjà citée dans d’autres blogs pour avoir vendu fort cher des légumes avariés à des navigateurs juste arrivés. Raison pour laquelle nous ne lui avions rien acheté jusque-là.
4 – En gros, à notre arrivée, il nous a été dit que ça serait rapide et qu’on aurait bien le temps après le carénage.
5 – A paraître ultérieurement dans le blog de Skol : Ni touristes ni traficants ! Nos aventures douanières au Sénégal.
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