Quelques jours au vert de temps en temps, quelques jours au vert à la façon d’Ariel, c’est entrer dans un marigot à la recherche d’un coin tranquille, si possible loin de toute trace des humains, poser l’ancre sur le fond de sable et ne plus bouger. Ne plus bouger pendant plusieurs jours. Voir revenir l’aigle que notre arrivée avait chassé. Observer si le pélican est un oiseau de routine. Jouir du spectacle des derniers flamands roses marchant de leur pas délicat sur le banc de sable au petit matin.
Ne plus bouger pour voir ce coin de nature à toutes les heures du jour, car selon l’heure et l’état de la marée, le spectacle change subtilement. Les cormorans se répartissent différemment les perchoirs disponibles, le banc de sable du milieu du marigot apparaît et disparaît et sur les rives les racines arquées des palétuviers se livrent au regard avec leur chargement d’huîtres imbriquées les unes dans les autres, enchâssées sur la tige racine comme sur une brochette prête pour la récolte (1).
Comme nous sommes en été, les grands oiseaux migrateurs sont partis vers le nord, pour la plupart, mais les touristes sont absents aussi et Ariel se déclare enchanté d’avoir un marabout, quatre flamands roses, une dizaine de pélicans, quelques ibis et hérons ainsi que tous les petits oiseaux sédentaires, les jaunes et noir, les bleu turquoise, et tous les autres, pour lui tout seul ! Il passe des heures à les observer aux jumelles, la mine réjouie. Ils sont un peu loin pour de la photographie de qualité, car le bateau bouge insensiblement, mais il s’en fout un peu ; l’essentiel est dans la contemplation.
Ariel tente d’ailleurs, pendant trois jours, de revoir l’animal mystérieux qu’il a entraperçu un matin sous les branchages et sur l’identité duquel son imagination s’agite. Petit félin, gros rongeur, loutre ou même petit singe, qui peut bien peupler cette île couverte de mangrove et pourvue de quelques rares arbres ?
Un autre sujet agite mon esprit depuis que j’ai examiné le cimetierre de coquillages sur lequel nous avons accosté avec gaal bu ndaw bi (2). Les amas coquillers que nous avons vu jusqu’à présent étaient clairement d’origine humaine, composés de demi-coquilles entassées par les exploitants successifs des gisements de coquillages, depuis des millénaires. Mais ce cimetierre-là semble naturel, car les coquilles vides sont encore entières, juste entrouvertes pour la plupart, parfois très grosses et parfois plus petites. Qu’est-ce qui a bien pu décimer ainsi des générations entières de coques ? Episodes de pollution ? Variations du climat ? Ou peut-être des modifications dans la salinité de l’eau, puisque nous sommes dans un système complexe entre fleuves à crues et océan à marées ?
L’un des marigots que nous avons sélectionnés pour ces pauses nature (3) était autrefois une voie navigable de haute fréquentation, car il relie le fleuve Saloum et le fleuve Diomboss, lui-même connecté à la Gambie toute proche par un autre entrelacs de marigots. Nous sommes dans une région frontalière de l’Afrique de l’Ouest et il est possible de phantasmer sur les contrebandiers au passage de quelques rares pirogues lourdement chargées de marchandises ou d’humains qui circulent parfois dans la nuit noire sans éclairage.
Ces mystères de la mangrove ne nous empêchent pas, toutefois, de savourer le calme du matin, le vent plus vigoureux de l’après-midi à l’heure de la sieste, la baignade quotidienne et le plaisir d’avoir du temps pour cuisiner, écrire, lire, bricoler, philosopher … loin des échos du muezzin. Parfois le soir, le vent porte à nos oreilles des echos de tamtams et de chants lointains venus de hameaux perdus. On se croirait en Afrique.
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(1) J’avais vanté et promis à mon chéri la dégustation de ces huîtres ouvertes au-dessus d’un feu allumé sur la plage. Nous confirmons : c’est délicieux avec un petit citron vert et une tranche de pain du bord.
(2) Littéralement : la petite pirogue. C’est à dire notre annexe. Les gens comprennent très bien de quoi nous parlons mais ils sourient quand nous utilisons cette expression que nous a suggéré Mbougar en France.
(3) Pauses contrastant avec l’intensité de mes travaux de recherche à Djifere.
Est-ce que vous avez déjà rencontré des Vallons dans les marécages?
Rédigé par : Karel | 10 août 2014 à 15:05