C’est l’atelier de couture qui offre la plus belle vue au monde. Chaque fois que je lève la tête de mes mains, mon regard porte à l’infini sur les vagues. Mais je ne lève pas aussi souvent la tête que je le voudrais car une tâche minutieuse m’absorbe : l’alignement des petits trous avec la pointe de l’aiguille. Alignement sur trois, quatre et parfois cinq épaisseurs de tissus !
Un point à l’envers…
et un point à l’endroit,
parfois ça passe…
et parfois ça passe pas ! (1)
Comme une ritournelle que je pourrais chantonner pour me donner du cœur à l’ouvrage.
Ce qui se passe c’est que les bords du génois se décousent, la faute à l’usure du fil par les UV de l’Afrique et au ragage du Pot-au-noir (2). Il reste 2 000 miles à parcourir, donc pas question de bâcler un rafistolage vite fait : on reprend point par point le zig-zag des coutures. Bon, parfois on reprend un point sur deux seulement, tellement c’est fastidieux.
Après deux jours de travail en nous relayant (3) à l’aiguilles, les bouts des doigts calleux et la nuque raide, nous avons une pensée un brin envieuse pour ceux qui, dans les grandes villes, ne travaillent que 7 heures par jour et ne se lèvent pas la nuit pour prendre leur tour de veille.
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1 - Soit l’aiguille trouve tout de suite le passage déjà frayé par le précédent fil, soit elle butte sur l’une des couches et j’ai beau farfouiller dans tous les sens je ne trouve pas le passage et je m’use la pointe des doigts à percer un nouveau trou dans l’une des couches de tissus, au risque de désaligner durablement l’ouvrage.
2 - En fait, cela fait 5 ou 6 ans que ce génois n’a pas été examiné par un maitre-voilier.
3 - Ariel honore ainsi la mémoire de son grand-père, modeste tailleur et se remémore les rudiments de couture que sa mère lui a inculqués.
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