Les pavillons sont en berne, je porte un tee-shirt rose fuchsia en écho aux foulards roses que mes sœurs portent ce jour-là à La Rochelle et à la veste rose dont elles ont revêtu Maman pour sa dernière apparition publique. Pendant que je manœuvre sur le pont, une de mes sœurs lit à l’église un texte que j’ai préparé ces derniers jours, entre la pluie et les brises folles.
J’ai mal au ventre, mal de mer, mal à ma mère, mal à « moi-mère ». Mes enfants me manquent terriblement dans ces heures consacrées au lignage qui pleure. Je devrais être parmi les miens, à accomplir les rituels qui matérialisent le deuil. J’ai cru que lui dire au revoir dans la paix à l’hôpital il y a quatre semaines suffirait mais je me suis trompée, ce n’était pas suffisant.
Pendant des jours et des jours, je vais ainsi souffrir de ne pas être là où je devrais être, regretter d’avoir cru que les communications satellites suffiraient à m’en rapprocher, et réinterroger même le sens de ce voyage, ou plutôt réinterroger la manière dont nous le réalisons, manière qui nous a fait persister avec notre grande traversée pour extraire Skol d’un pays à risque Ebola plutôt que choisir d’attendre auprès des miens que Maman accomplisse la sienne.
Il n’y avait pas de bonne solution, il n’y avait pas de bonne décision, il n’était pas possible de prédire la fin si rapide de Maman, nous voulions encore croire qu’elle négocierait un sursis de plus avec le cosmos, comme elle l’avait fait l’an dernier et que nous nous retrouverions tous en Patagonie pour noël.
Pendant des jours je maudirai cette traversée océanique à laquelle nous prétendions nous préparer depuis sept ans mais dont nous n’avions pas mesuré tous les enjeux.
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Il me vient à l’esprit que les angoisses de mort de soif que j’éprouvais dans les grands calmes était une peur de mourir tout court, en écho à l’agonie de Maman. J’en étais proche de la folie, envisageant de nous en sortir à la godille. Vouloir godiller au milieu d’un vase océan semblait à mon homme un véritable délire.
MMes très chers,
J’espère de tout mon coeur qu’avec le vent les bons esprits reviendront. De toute façon je suis avec vous ( qui n’est pas vraiment un exemple d’un bon djinn, ni la réincarnation de Poseidon/Neptunus, mais il faut vivre avec ce qu’on vous offre...Knipogende emoticon )
Oubliez le verbe inculper, l’avenir se trouve devant vous à l’ouest, et la godille... c’est pour les touristes à Venice.
By the way, I went in our local library and found a book entitled:”Longitude” l’histoire véridique d’un génie solitaire ( John Harrison, qui n’est pas le frère de Georges ) qui a résolu le plus grand problème scientifique de son temps.
Let the Force be with you
Karel
Rédigé par : Karel | 17 novembre 2014 à 18:22
Je profite de ce petit commentaire pour vous dire que je pense souvent à vous, d'une part en vous enviant mais aussi suite aux différents épisodes familiaux et notamment la disparition de ta maman. Tu dois sans doute te souvenir que je venais de devenir "orphelin" lorsque nous nous sommes rencontrés en "Urlande" comme dit Ariel. Il se passe vraiment quelque chose en nous, bien que nous soyons des "grands", lorsque cela nous tombe dessus. On se croit très forts et on s’aperçoit dans ces moments là qu'il demeure des faiblesses ou des fragilités. Au final, tout cela fait remonter des choses à la surface et je pense qu'il s'agit principalement de choses qu'on l'on a à régler avec soi-même. Concernant le fait que tu aies eu le sentiment de te sentir coupable de ne pas avoir été présente au moment de son départ, je voudrai de te dire que personnellement, je pense que le plus important est le bilan, pas simplement le dernier instant, c'est en tout cas mon point de vue. J'ai moi aussi manqué ce rendez vous avec ma mère, mais j'ai le sentiment que ce qui devait être dit l'a été.
Je vous embrasse tous deux très fort et j'espère vraiment vous vouir en décembre, tenez nous au courant si vous êtes dans l'Est !
A bientôt,
Michel
Rédigé par : Mitch | 29 novembre 2014 à 15:16
Merci à vous deux et à tous ceux qui m'ont envoyé un mot d'affection en dehors du blog.
Il ne s'agissait pas de sentiment de culpabilité, mais d'un véritable manque, un besoin profond et non satisfait de serrer mes proches et mes enfants dans mes bras, besoin de pleurer et rire et boire du bon vin avec ceux qui l'ont connue, besoin d'accomplir des gestes au lieu de juste imaginer ce qui se passait à La Rochelle.
Je vais pouvoir accomplir certains de ces gestes bientôt, puisque nous prenons l'avions dans quelques jours.
Rédigé par : Isabelle | 29 novembre 2014 à 15:26