Partis du Sénégal un peu vite, sans tampon sur nos passeports et sans répondre à la demande de notre transitaire de présenter le bateau à la douane à Dakar (1), nous n'envisageons pas de faire escale au Brésil, car les douanes et la police d'immigration y ont la réputation de faire la vie difficile aux français (2). En outre, le challenge de la très longue navigation telle que nous l'avons rêvée, même s'il n'a plus grand sens pour moi, en a encore pour Ariel, qui a toujours un peu de mal à changer ses objectifs en cours de route. Cependant, la côte brésilienne fait une sorte de bosse dans la région de Rio de Janeiro, bosse qui se dresse sur notre route comme une provocation, comme une tentation. Et certains besoins se font pressants, justement, à mesure que nous en approchons. L'eau manque, l'envie de parler à ma famille est frustrée depuis trois semaines, les vivres frais sont épuisés depuis longtemps et le coude d'Ariel tarde à se remettre d'une chute violente qui l'a endolori et enflammé de manière spectaculaire. Bref, nous cumulons les bonnes raisons de nous arrêter et la danse des arguments pour ou contre l'escale tourne en rond.
L'eau nous fera sortir de la valse, finalement. Après la bosse de Rio, il reste mille miles et nous craignons que nos réserves soient trop basses. Mais il n'est toujours pas question que nous fassions escale officiellement.
Alors nous ne descendrons pas à terre. C'est Jonny (3) qui, avec son annexe, nous rapportera 120 litres d'eau douce dans les bouteilles et bidons vides que nous lui tendons, c'est Jonny qui ira à la banque changer quelques euros en pesos et reviendra les bras chargés de victuailles fraiches (des avocats énormes, des tomates, etc….) et de la cachaça. C'est même Jonny qui ira au cyber centre, muni d'un portrait de chacun de nous qu'il présentera devant la caméra pour un échange skype avec nos familles. Nous, on reste à bord, on crame le forfait de nos téléphones, on lave du linge, on gratte la colonie de pousse-pieds de la coque, on dort aussi et le coude d'Ariel se repose.
48h plus tard on repart en bricolant un peu les entrées du journal de bord et en espérant de pas finir dans les tôles Uruguayennes, pour tant d'irrégularités.
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1 - Notre prétendu transitaire, cet homme en qui nous n'avons aucune confiance, étant donné son comportement avec nous à Dakar, et que nous tenions pourtant loyalement au courant de nos préparatifs de sortie du territoire depuis 10 jours, nous appelle alors que nous étions déjà partis depuis quelques heures, nous enjoignant de nous présenter aux douanes. Nous avons choisi de ne pas le croire.
2 - Une mesure de rétorsion contre des dispositions prises par Nicolas Sarkozy en Guyanne contre les Brésiliens.
3 - Pourtant les premiers échanges avec Jonny ont été difficiles. Il n'a pas répondu à nos saluts, a passé 24h avant de venir discuter avec nous et a fait la grimace quand on a égrené les différentes langues dans lesquelles on pouvait échanger « aqui se habla brasilero », a-t'il affirmé en pointant un doigt vers ses pieds. Désignait-il ainsi simplement le plancher de son annexe ou bien l'ensemble du territoire Brésilien ? Son sourire montre tout de même qu'Ariel a réussi à l'apprivoiser.
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